L’extrême droite française soutient Boualem Sansal 

L’arrestation de Boualem Sansal en Algérie a suscité un soutien unanime
parmi les figures de l’extrême droite française, ainsi que de la droite et
d’une partie significative de la gauche. Le soutien sans réserve de
l’extrême droite, présenté comme une défense de la liberté d’expression,
dissimule en réalité une convergence d’intérêts idéologiques visant à
exploiter cet événement à des fins politiques.

Mouloud Améziane, sociologue

« La liberté ne comprend pas essentiellement des privilèges, 
mais surtout des obligations. » Albert Camus

Une récupération politique et idéologique
Éric Zemmour évoque ouvertement son « amitié » avec Boualem Sansal, le
qualifiant d’« authentique combattant de la vérité ». Parallèlement, il
déclare : « L’Algérie n’est pas une nation, elle ne l’a jamais été. C’est
une terre qui a toujours été conquise par des empires : les Romains, les
Arabes, les Espagnols, les Ottomans et enfin par la France », des propos
très graves et insultants pour les Algériens. Marion Maréchal décrit
également l’écrivain comme un homme qui « n’a jamais plié devant le régime
d’Alger » et qui « n’a jamais cessé d’alerter sur le danger de l’islamisme ».

En réalité, toute l’extrême droite soutient sans réserve Boualem Sansal,
revendiquant parfois une proximité avec lui qu’il n’a jamais lui-même
cachée. C’est sans doute la première fois que ce courant idéologique en
France se mobilise aussi unanimement pour un écrivain. Ses leaders
instrumentalisent le combat pour la liberté d’expression dans cette affaire
afin de légitimer des discours islamophobes et révisionnistes sur
l’héritage colonial. Leurs propos dépassent la simple défense d’un écrivain
en difficulté ; ils servent une rhétorique visant à minimiser les luttes
anticoloniales et à stigmatiser les communautés issues de l’immigration
maghrébine.


L’instrumentalisation de la lutte contre
l’antisémitisme

Ces positions évoquent également l’instrumentalisation de la lutte contre
l’antisémitisme par l’extrême droite, alors même que cet antisémitisme est
structurel en son sein. Cela témoigne d’une acrobatie intellectuelle
profondément malhonnête. Une telle manipulation aurait été difficile à
croire il y a quelques années, mais elle sert désormais à renforcer des
discours de division, alimentant une fracture idéologique et sociale plus
large.

Les prises de position de Sansal : un terreau pour la division
Boualem Sansal a largement contribué à ces récupérations en adoptant des
positions polarisantes et en se rapprochant ouvertement de ces courants.
Par exemple, et en dehors de ses récentes déclarations controversées sur
l’histoire de l’Algérie dans un média d’extrême droite, il a décrit Israël
comme « le dernier rempart contre la barbarie islamiste » (Le Point, 2019),
une affirmation exploitée par certains courants pour opposer une supposée «
civilisation judéo-chrétienne » à un monde musulman caricaturé comme
homogène et barbare. Ces propos, associés à des critiques acerbes et
récurrentes de l’Algérie post indépendance, le placent au cœur de discours
réducteurs qui génèrent division et tensions, notamment en France.

Une répression des discours nuancés
Plus préoccupant encore est le climat actuel en France où les voix nuancées
sont systématiquement stigmatisées. Ainsi, le politologue Nedjib Sidi
Moussa a subi un harcèlement intense en ligne après son intervention
équilibrée sur France 5 le 24 novembre. Benjamin Stora, plaidant également
pour une lecture contextualisée de ces tensions, a été la cible de
critiques virulentes. Cette radicalisation du débat public, marquée par
l’intimidation des intellectuels, compromet la possibilité d’une réflexion
sereine sur des questions complexes.

Révisionnisme et fractures sociales

Sous couvert de défense des libertés, certains discours glissent donc vers un
révisionnisme historique qui réhabilite implicitement la colonisation tout
en alimentant des tensions identitaires. Ce phénomène fragilise la cohésion
sociale en opposant des communautés et en renforçant des clivages
idéologiques.

Une droite et une gauche complaisantes
Ce qui interpelle profondément est l’attitude de segments de la droite
traditionnelle et de la gauche qui soutiennent Boualem Sansal sans examiner
la teneur de ses prises de position. Cette complaisance banalise des
discours polarisants et favorise une simplification dangereuse du débat
public. Cette attitude révèle une absence de réflexion critique face à des
idées qui flirtent ouvertement avec les thèses de l’extrême droite. Comme
le disait Martin Luther King :  » Ce qui m’effraie, ce n’est pas
l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons. »

Plus grave encore, certains membres de la droite républicaine et de la
gauche embrassent sans réserve les positions de l’extrême droite,
contribuant ainsi à leur normalisation. Cette dérive exige une prise de
conscience collective : laisser ces discours prospérer sans interroger leur
contenu revient à en cautionner les implications idéologiques et sociales.

Appel à la raison et au débat nuancé
Il est urgent de défendre une liberté d’expression authentique qui ne se
limite pas à soutenir des figures polarisantes mais protège aussi les voix
critiques et nuancées. Cette démarche implique le rejet des récupérations
idéologiques concernant Sansal ou d’autres sujets clivants comme le
problème israélo-palestinien, afin d’encourager un débat fondé sur le
respect mutuel et l’analyse rationnelle.

L’affaire Boualem Sansal met en lumière des enjeux cruciaux autour de la
liberté d’expression et de la manipulation idéologique. Plutôt que de
polariser davantage les débats, il est essentiel de promouvoir une parole
nuancée et une critique constructive, seules garantes d’un débat
démocratique apaisé.

Il est crucial de condamner l’arrestation de Boualem Sansal comme une
violation flagrante de la liberté d’expression. Une procédure judiciaire
aurait permis à l’écrivain de répondre librement aux accusations portées
contre lui. L’usage de l’emprisonnement préventif dans ce type de
situation, associé à une interprétation excessive des lois pour sanctionner
des critiques jugées menaçantes, est incompatible avec les principes
fondamentaux d’un État de droit.

Un État de droit implique que la justice soit utilisée pour protéger les
citoyens et non pour les intimider. En l’absence de garanties procédurales
(procès équitable, liberté de répondre aux accusations), l’incarcération
préventive devient un outil de répression politique, ce qui est
incompatible avec les valeurs démocratiques.

Cependant, cette position ne doit pas occulter l’impératif d’une critique
précise et fondée des prises de position de l’écrivain, largement diffusées
à travers des médias ayant une orientation idéologique marquée. Il est
important de rappeler qu’aucune origine ou nationalité ne dispense de
l’examen critique des discours. Ce n’est pas parce qu’il est algérien, que
Sansal doit échapper à cette règle sur un sujet si sensible en France.  

Ses propos et ses engagements, loin de favoriser l’unité, contribuent à 
creuser un fossé grandissant, aussi bien au sein de la société française 
qu’au-delà de ses frontières.