Ces pharaons noirs qui ont dominé l’Égypte  

Les historiens ont longtemps affirmé que, sans écriture, un royaume noir ne pouvait représenter une véritable civilisation. L’archéologue Charles Bonnet n’a pas seulement découvert des statues de pharaons noirs, ses recherches prouvent qu’il existait sur le Continent africain, dans l’actuel Soudan, une société sophistiquée, parfaitement structurée, une administration complexe, il y a plusieurs milliers d’années (*).   

Ian Hamel

Charles Bonnet montre qu’il y a plusieurs milliers d’années, des Africains ne vivaient pas dans les cases en bois ou en paille

Charles Bonnet, professeur honoraire de l’Antiquité tardive, a fouillé pendant un demi-siècle les cités de Kerma et Doukki Gel, situées dans le nord du Soudan. Dans le préambule de son livre, il explique qu’autrefois « une partie du monde était considérée comme sauvage et ce sont les vestiges aux caractères égyptiens qui étaient censés présenter de l’intérêt ». En d’autres termes, le Soudan, se trouvant dans une zone d’influence de l’empire pharaonique, « ce sont les éléments égyptiens qu’il faudrait chercher dans des régions laissées en friche par des peuples sans culture ». Et rien d’autre. Il y a cinquante ans, les archéologues se bousculaient en Égypte, beaucoup moins au Soudan. « Les traversées de ce désert rendaient ces voyages particulièrement hasardeux et l’on ne compte pas les aventures marquées par des nuits glaciales passées à attendre la réparation hypothétique d’un moteur à l’agonie », raconte Charles Bonnet, archéologue du canton de Genève de 1972 à 1998. 

Depuis Khartoum, la capitale, atteindre Kerma et Doukki Gel, dans le nord du Soudan, reste toujours une expédition. 500 à 600 kilomètres sur une route poussiéreuse et sous un soleil de plomb. En 2015, l’auteur de l’article fait la connaissance de Charles Bonnet, alors âgé de 80 ans, mais bon pied, bon œil. Avec fierté, il nous avait fait visiter le musée de Kerma, et les sept statues de pharaons noirs découvertes en 2003. Ces pharaons noirs, en granit, se distinguent nettement des représentations égyptiennes et se rattachent au patrimoine centre-africain. Deux de ces rois ont même dirigé les destinées de l’Égypte et se sont battus… contre les Assyriens. « Kerma n’était pas qu’un site conquis par les Égyptiens, c’était aussi une capitale nubienne. Comprenez une ville africaine, qui commerçaient avec des populations de Pays de Pount, à plus de mille kilomètres, sur les côtes de la mer Rouge », nous avait confié l’archéologue suisse. 

Les pharaons noirs de Nubie dans le musée de kerma

Pharaons « noirs » ou « africains » ?       

Si les habitants de Nubie ont pu être colonisés par les Égyptiens, à leur tour, ils ont dominé l’Égypte pendant un siècle de – 700 à – 600 avant J.C. Dans l’ouvrage « Les pharaons noirs », agrémenté de très nombreuses illustrations, Charles Bonnet développe l’idée qu’il existait il y a plusieurs milliers d’années un axe fort d’est en ouest, allant depuis la mer Rouge jusqu’à l’Océan Atlantique. « Kerma appartenant à un royaume singulier, presque incomparable à d’autres dans l’état actuel de la recherche », écrit Charles bonnet. Ces découverts dans le nord du Soudan bouleversent beaucoup d’idées préconçues sur le continent noir. Les Africains ne vivaient pas tous dans des cases en bois, en terre ou en paille. Mais cette civilisation ne connaissant pas l’écriture, elle n’a guère pu laisser de traces dans l’histoire.

Par ailleurs, l’ouvrage revient sur le terme de « pharaons noirs », utilisé pour la première fois par un archéologue britannique : il est contesté par des mouvements “afrocentristes“. L’appellation est refusée par des chercheurs du contient qui considèrent que « leurs rois étaient d’abord africains ». L’auteur ajoute : « un terme évoquant la couleur de peau pouvait devenir difficile dans des pays où l’esclavage et les colonisations rendaient ces sujets sensibles ».

Dans sa conclusion, l’archéologue, qui a séjourné 56 ans au Soudan, à raison de trois mois par année, ne peut que déplorer le conflit actuel entre l’armée et des paramilitaires, qui aurait déjà causé la mort de 150 000 civils. « La guerre civile détruit le territoire (…) Par nations interposées, des armes et les différentes formes de la violence sont acheminées jusqu’aux confins des réserves agricoles ou de mines d’or », conclue Charles Bonnet, 91 ans. Que cette folie meurtrière ne vienne pas aussi s’en prendre à Kerma et à Doukki Gel, et à l’histoire millénaire du royaume de Nubie.                                                                                                                                  

(*) « Les pharaons noirs. Une histoire de la Nubie », Favre, septembre 2024, 215 pages.