Alfred Kane, superviseur commercial, a suivi à Dakar la campagne électorale des élections législatives. Avant l’ouverture des bureaux de vote, dimanche 17 novembre, Mondafrique l’a rencontré et il nous livre ici son analyse sans concession de ce qu’il a observé durant ces trois semaines et, au-delà, depuis le changement du pouvoir au Sénégal.
Dakar, la correspondance particulière d’Elvis Diallo
Quelles analyses faites-vous des différentes forces politiques à la fin de cette campagne électorale ?
Cette campagne, selon moi, a redessiné la carte politique du Sénégal. Les grandes entités politiques d’autrefois, que ce soit les anciens grands partis politiques ou les anciennes coalitions se sont fissurées à l’occasion de cette campagne et ont laissé la place à de nouvelles coalitions. Seul le Pastef (parti au pouvoir, NDLR) va à ces élections en se maintenant comme une entité à part entière. A cela, s’ajoute le mouvement de transhumance qui est largement en faveur du parti au pouvoir. Il s’agit de leaders politiques investis par d’autres listes mais qui ont décidé de rallier le Pastef. C’est le cas de Madame Bergame Kanouté, ancienne porte étendard de l’APR, le parti de l’ancien président, et qui, pour avoir été investie à la 25è place sur la liste conduite par l’ancien président, a décidé d’apporter son soutien au parti au pouvoir.
Dans ces conditions, une cohabitation est-elle encore envisageable ?
Cela va être impossible parce que toutes les coalitions qui gouvernaient le pays se sont délitées. Par exemple, la coalition benno bokk yakaar (coalition de l’ancien président de la République, NDLR) a connu une débandade générale dès que Macky Sall a perdu le pouvoir. Des partis politiques ou des coalitions se sont retirés pour créer d’autres partis politiques. Les anciennes divisions qui étaient apparues lors de la dernière campagne présidentielle entre Macky Sall et son ancien premier ministre Amadou Ba se sont renforcées. Les deux camps se regardent désormais en chien de faïence.
Est-il possible que le Pastef une fois devenu majoritaire à l’Assemblée nationale se venge des dignitaires de l’ex-parti au pouvoir ?
Cela est évident. Le Pastef a en effet dit clairement que s’il parvient à obtenir la majorité parlementaire, la suite va être la mise en place d’une haute cour de justice qui va juger les anciens pontes du système. Car pour lui, les hommes de l’ancien régime ont dilapidé les ressources du pays.
L’échec éventuel de l’opposition sera-t-il imputable au choix fait par le président Macky Sall de diriger sa coalition de l’extérieur ?
Macky Sall ne pèse plus sur la vie politique sénégalaise. Il a encore ses fiefs traditionnels dans son Fatick national (2270 km de Dakar, NDLR) et au nord où il peut toujours compter sur le vote ethnique. Je suis moi-même originaire du nord et la plupart de nos parents réfléchissent comme ça. Macky Sall est Alpoular et c’est là où il a toujours gagné. Mais Pastef est en train de faire un travail remarquable au nord. Malheureusement les récentes inondations ont perturbé son programme et l’opposition tente maintenant d’exploiter cette faille en surfant sur les divisions ethniques en expliquant aux populations du nord que c’est parce que le Pastef y est minoritaire qu’il n’a rien fait pour les aider. Mais je pense que si Macky Sall était encore très populaire au Sénégal, il n’aurait pas choisi de mener sa campagne depuis l’étranger sur WathsApp. De toute façon, je doute qu’il soit aujourd’hui un appoint pour l’opposition, car toutes les personnalités importantes de son parti ont rejoint d’autres coalitions.
Que pensez-vous du projet politique du parti au pouvoir ? Prend-il en compte les différentes problématiques auxquelles sont confrontés les Sénégal : chômage des jeunes, émigration clandestine? Ce programme est-il, par ailleurs, réaliste ?
Réaliste ou pas, ce sont les résultats électoraux qui nous le diront. Pour ma part, j’estime que Pastef n’a pas encore déroulé son programme. Le Premier ministre Ousmane Sonko devrait le faire lors de son discours de politique générale. Ce qui n’a pas été fait pour les raisons que nous connaissons tous. On attend donc ce discours qui va permettre au Pastef de décliner les différents axes sur lesquels il compte se sous-basser pour développer le pays. Et à travers ce développement, toucher les jeunes, la santé et tout ce qu’il faut pour qu’on sente un mieux-être dans le pays.
Est-ce que vous comprenez les raisons pour lesquelles il a évité l’ancienne Assemblée nationale ?
Assurément, parce qu’au vu de la configuration de l’Assemblée nationale qui a été dissoute, Ousmane Sonko aurait fait face à une motion de censure létale qui l’aurait littéralement destitué. Et du fait qu’il n’avait pas la majorité, il était difficile au Pastef de travailler avec cette assemblée nationale. D’où la dissolution.
Malgré tout, le Premier ministre est toujours aussi populaire
Oui, Ousmane Sonko est quelqu’un que les gens aiment. C’est plus à lui qu’à Diomaye Faye (président de la République depuis avril 2024, NDLR) que les Sénégalais ont confié le pays. Et ils l’aiment tellement qu’il est impossible à ses militants de faire la part des choses entre des déclarations de campagne populistes qui ne pourront pas être réalisées et ce qu’il peut réellement faire. Pour rappel, Abdoulaye Wade (ancien président sénégalais, NDLR) nous avait promis des maïseries et des mangueries qui ont vite été oubliées dès qu’il est arrivé au pouvoir. Là, Ousmane Sonko nous a parlé d’un compte personnel de 1000 milliards, ce qui est impossible. Mais on est en campagne et on peut s’autoriser ce genre d’écart de langage. D’autant que les populations semblent se contenter qu’il soit au pouvoir alors que la situation économique du pays est mauvaise et que de manière factuelle je rencontre souvent des gens dont les entreprises ont fait faillite et qui nous sollicitent à gauche et à droite.
Les exportations ont beaucoup baissé ?
Les statistiques sont assez effarantes au niveau du Port de Dakar. Les importations et les exportations de marchandises ont beaucoup diminué. Ce sont des baromètres assez plausibles pour comprendre que l’économie tourne au ralenti. Mais le militant du Pastef lambda s’en fout. Et je crains qu’on soit face à la même euphorie qui avait porté la présidence d’Abdoulaye Wade. Mais vite, le peuple en a eu marre et ce fut la dégringolade. Et c’est cet effet que je redoute. A moins de rattraper le chômage qui grimpe encore, et l’émigration clandestine qui attire toujours autant les jeunes dont le seul espoir est de s’expatrier en Europe faute de mieux ici.