Les bouleversements des dernières années en Afrique subsaharienne obligent les Occidentaux à repenser leur présence militaire sur le continent. Après les Français, les Américains réfléchissent également à un nouveau positionnement. Le résultat de l’élection du 5 novembre conditionnera, ou pas, l’ampleur des changements à venir.
Emmanuel Macron a réuni un conseil de défense le 23 octobre dernier pour débattre une nouvelle fois de la nouvelle stratégie française sur le continent africain. Le rapport de Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du Président devrait être rendu public dans les jours prochains. Toutefois, les contours sont déjà tracés. Si le nombre de soldats déployés au Tchad reste la seule inconnue, pour tous les autres pays où l’armée française est présente : Dakar, Abidjan, Libreville, à l’exception de Djibouti qui garde les mêmes capacités, la réduction drastique des troupes est déjà actée. Washington emboitera-t-il le pas de Paris ?
Le détonateur nigérien
Les débats sont lancés au sein des cercles de réflexions spécialisés. Defense Priorities, un think tank basé à Washington DC, vient de publier une analyse intitulée : « Repenser le commandement de l’Afrique ». Dans cette note, les auteurs remettent en cause l’existence même de l’Africom, une unité de combat dédiée à l’Afrique, créée par le Département de la Défense en 2008. Au-delà, des considérations très techniques liées à la bureaucratie américaine largement décrites dans ce document, les critiques sont les mêmes que celles faites par les chercheurs en France : échec de la lutte contre le terrorisme et nécessité d’une approche plus globale : « Les États-Unis ont permis à la lutte contre le terrorisme de devenir l’élément principal de leur engagement en Afrique, avec des résultats pour le moins discutables (…) il n’existe pas de solution miracle aux défis de l’Afrique. Mais en donnant la priorité aux domaines qui favorisent la stabilité à long terme en Afrique, la politique américaine pourrait produire de meilleurs résultats qu’une focalisation immédiate sur la lutte contre le terrorisme cinétique. »
Si ces questions ne sont pas nouvelles, il est indéniable que le départ forcé des troupes américaines du Niger ont accéléré et amplifié ces réflexions. Defense Priorities le reconnaît d’ailleurs : « La question de l’implantation de bases militaires en Afrique est d’autant plus pertinente que les États-Unis ont récemment été priés de quitter leurs deux bases militaires au Niger, l’une dans la capitale, Niamey, et une plus grande à Agadez. L’avenir de la présence américaine au Tchad est également à l’étude, certaines forces américaines ayant été priées de quitter ce pays, au moins temporairement. »
Trump/Harris, blanc bonnet, bonnet blanc ?
Comment se traduiront ces réflexions et quelles seraient les différences d’approches entre les deux candidats en lice ? La première difficulté pour analyser les modifications qui pourraient avoir lieu c’est l’opacité sciemment entretenue concernant ces questions. Les effectifs des troupes engagées sont systématiquement sous-évalués ; la localisation des bases est un véritable casse-tête entre les permanentes, les ponctuelles, les non-répertoriées, les secrètes de la CIA, impossible de réaliser une cartographie juste, complète et actualisée.
Quant aux différences d’approches entre les candidats, là encore l’exercice est ardu puisque la politique du Pentagone envers l’Afrique reste identique quelle que soit l’administration Démocrate ou Républicaine. Il n’y eut, par exemple, aucun changement entre 2012 et 2024 dans la gestion de la crise sahélienne. Idem, dans la guerre qui dévaste l’est de la République Démocratique du Congo depuis 30 ans. Cependant, il a pu y avoir des modifications à la marge. En 2020, Donald Trump a retiré ses troupes de Somalie, pour autant la coopération sécuritaire ne s’est pas arrêtée. Elle s’est poursuivie à partir des bases voisines de Djibouti et du Kenya. En 2022, Joe Biden a rétabli une base permanente à Mogadiscio pour des raisons avant tout bureaucratiques, car sur le fond lorsqu’il s’agit des intérêts américains rien ne change.
En revanche, sur la forme des modifications pourraient avoir lieu. L’équipe de Joe Biden reste traumatisée par le départ des troupes de Niamey. A tel point, que, selon Africa Intelligence, Molly Phee, l’actuelle sous-secrétaire aux affaires africaines, jugée responsable de cet échec, n’a aucune chance d’être reconduite dans la nouvelle équipe en cas de victoire de Kamala Harris. Pour ne pas avoir à revivre une expérience aussi désagréable, les Démocrates seront sûrement enclins à adopter la nouvelle doctrine française qui consiste à modifier l’empreinte militaire afin de la rendre plus souple et moins visible. Que ferait une administration Trump ? Pour l’instant, il ne s’est pas exprimé le sujet. Il est intéressant de noter au passage qu’aucun des deux candidats n’a placé l’Afrique dans sa liste des priorités…