Débaptisons Brazzaville, ce nom qui honore le colonisateur

Une verrue honteuse entache la capitale de la République du Congo, son nom : Brazzaville ! Il n’est que temps de se débarrasser de ce nom qui honore la mémoire du colonisateur qui a conquis le pays, Savorgnan De Brazza. 

Emmanuel Dongala

En 1960, les capitales des deux pays du même nom — Congo — face l’une à l’autre de chaque côté du fleuve éponyme et qui venaient d’obtenir leur indépendance, s’appelaient respectivement Léopoldville et Brazzaville. La première de ces deux capitales a jeté au rebut dès 1966 le nom de Léopold, le sinistre roi des Belges et a recouvré son nom autochtone, Kinshasa. Dans la foulée, Stanleyville devenait Kisangani et ailleurs, Fort-Lamy devenait Ndjamena au Tchad tandis que Lourenço Marques devenait Maputo au Mozambique. En revanche, Brazzaville est restée… Brazzaville. Certes, la petite ville de Dolisie fut un moment rebaptisée Loubomo, de son nom local, mais cela ne dura pas, on revint très vite sur cette décision et la ville porte toujours aujourd’hui le nom du compagnon de De Brazza. 

Pire, sous prétexte que De Brazza était un « conquérant humaniste » – comme si une conquête coloniale quelle qu’elle soit pouvait être humaniste – le régime qui gère le pays d’une main de fer depuis bientôt un demi-siècle s’est mis en tête de rapatrier dans la ville les restes du colonisateur et des membres de sa famille. Leurs cendres, exhumées d’un cimetière d’Alger, reposent par conséquent aujourd’hui à Brazzaville dans un immense et luxueux mausolée inauguré en grande pompe en 2005. Situé au centre-ville, près du fleuve, il fait face à Kinshasa qu’il semble narguer. Hommage insolite du colonisé au colonisateur quasi un demi-siècle après l’indépendance, comme si le Monument de Brazza (près de la Case De Gaulle) et le Lycée Savorgnan De Brazza, déjà présents dans la ville, ne suffisaient à honorer le personnage.

Et comme pour remuer le couteau dans la plaie, surplombant le mausolée, se dresse la statue du conquérant. « Mais c’est le Christ ! » s’était exclamée une spectatrice lors de l’inauguration, à la vue de ce colosse qui se dresse tel un phallus taillé dans un marbre blanc étincelant, vêtu d’une toge, la tête couverte d’un voile plutôt que d’un casque colonial, figure christique tenant à la main un bâton, tel un prophète conduisant le peuple vers la terre promise, comme si qui soumet un peuple pouvait le conduire vers la liberté.

Oui, il est plus que temps de débaptiser Brazzaville !

Quel nom donner à la capitale ?

Ceux qui comme moi ont vécu les folles journées meurtrières du mois de mars 1977 à la suite à l’assassinat de Marien Ngouabi, le président de l’époque, se souviennent de la frénésie de débaptisation et de rebaptisation qui avait saisi les caciques du parti unique d’alors, le Parti Congolais du Travail, PCT : des écoles, des rues, des camps militaires, l’Université et j’en passe, tous reçurent le nom Marien-Ngouabi. Certains allèrent jusqu’à proposer Ngouabi-ville pour la capitale du pays. Par chance, nous y avons échappé.

Cependant, au train où vont en ce moment les choses en République du Congo, vu le culte de la personnalité qui entoure actuellement le président au pouvoir que ses thuriféraires qualifient de « grand bâtisseur infatigable », rien ne garantit qu’un beau jour le grand bâtisseur ne se découvre également l’âme d’un « grand débaptiseur », et qu’on ne se retrouve un matin avec Nguesso-ville ou Sassou-ville comme capitale de notre pays. Déjà, la plus longue avenue de la capitale, une université et de nombreux autres sites du pays portent son nom. 

Plusieurs appellations circulent de manière informelle dans le pays, parmi lesquelles MFOA, MAVOULA ET TANDALA. Mfoa se réfère à la petite rivière à l’embouchure de laquelle De Brazza aurait bâti sa première case, fixant ainsi l’endroit où allait se construire la ville. MAVOULA et TANDALA quant à eux, sont couramment utilisés par une partie de la population. Pour ma part, je considère que la meilleure manière de décider serait peut-être de procéder par un référendum comme le firent les habitants de Leningrad pour revenir à Saint-Petersbourg, l’ancien nom de leur ville.

Que ce nom de BRAZZAVILE soit jeté à la poubelle de l’histoire.