Des menaces planent sur Nabih Berry, l’ultime figure tutélaire de l’État libanais

Le président de la Chambre des députés depuis des lustres et une des premières fortunes du Liban, Nabih Berry, est désormais considéré comme le principal représentant de la communauté chiite et l’unique interlocuteur crédible de la communauté internationale, aussi bien auprès des Américains, des Français, des Iraniens ou de ce qui reste de l’appareil sécuritaire du Hezbollah. Ce représentant insubmersible et vieillissant de la classe politique libanaise pourrait devenir une cible de l’armée israélienne décidée à faire table rase du malheureux Liban qui serait, aux yeux de son belliqueux voisin, coupable de tous les maux d’Israël. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, dont l’armée a envahi le Liban trois fois en moins de quarante ans, a encore déclaré, mercredi, que toute négociation visant à mettre fin aux combats avec le Hezbollah, au Liban doit être menée “sous le feu”.

Nicolas Beau, avec nos confrères du site libanais « Ici Beyrouth »

Le président du Parlement libanais, Nabih Berri, accueille l’envoyé spécial français Jean-Yves Le Drian à Beyrouth le 24 septembre 2024.

L’absence de Nabih Berry laisserait la communauté chiite sans laquelle aucune reconstruction de l’État libanais ne serait possible sans véritable porte-parole. Des négociations directes avec le Hezbollah se heurteraient en effet à de nombreux défis. En effet, le mouvement extrémiste, désigné comme organisation terroriste par les États Unis, est passible de sanctions contre ses membres et ses collaborateurs. De plus, en l’absence de leadership clairement défini au sein du mouvement, les décisions militaires et politiques du Hezbollah sont dictées par Téhéran. Enfin, la communauté chiite ne pourrait pas rapidement voir émerger de nouvelles figures de la stature de Hassan Nasrallah. Du coup, Nabih Berry est devenu incontournable.

Mercredi dernier, Meir Masri, membre du comité central du Parti travailliste israélien, a affirmé sur la plateforme X que “Nabih Berry est une cible tout à fait légitime”.

Les menaces terrifiantes d’un député influent du Parlement israélien contre Nabih Berry ont été perçus comme une incitation à cibler le président du Parlement libanais et ont été largement relayés par les médias et les réseaux sociaux, certains y voyant une menace de mort. Toutefois, selon des experts en affaires israéliennes, Masri n’occupe aucune fonction officielle en Israël, et aucun responsable israélien, ni au niveau politique ni militaire, n’a émis des menaces explicites contre Nabih Berry. Celui-ci semble par ailleurs bénéficier d’un soutien international, étant considéré comme un interlocuteur privilégié pour traiter les crises libanaises sur les plans régional et local.

Les observateurs suivant ce dossier estiment que les actions israéliennes dans ce conflit ne sont guère surprenantes, Israël n’hésitant pas à entreprendre tout ce qui semble favoriser ses intérêts. La question qui se pose est donc de savoir si ces intérêts incluent le maintien d’un interlocuteur chiite avec lequel les États-Unis et d’autres acteurs internationaux peuvent continuer à dialoguer.

Chef depuis quarante ans d’un des deux partis chiites, le mouvement Amal, l’incontournable Berry est parvenu, à deux pas du souk et de la grande Mosquée, à s’approprier plusieurs hectares cadenassés par des murs, des barrières et des grillages sur lesquels veille près d’un millier de gardes (certains disent trois mille), payés par l’Etat mais recrutés au sein du mouvement Amal, officiellement pour protéger la représentation nationale

Des militants de Berry éliminés

Sur le plan militaire, certains événements ont été perçus comme des messages destinés à Nabih Berry. Plusieurs membres du mouvement Amal ont, en effet, été tués lors des frappes israéliennes, notamment dans le sud du pays. Par ailleurs, la violente frappe aérienne sur Nabatiyé a été interprétée par beaucoup comme un avertissement à l’attention de Nabih Berry qui possède une résidence à Msayleh, sur la route menant à cette localité.

Cependant, des citoyens chiites libanais affirment que Nabatiyé n’est pas sous l’influence directe de Nabih Berry, mais plutôt de celle du Hezbollah. Ils précisent que le conseil municipal de la ville, ciblé par les frappes israéliennes, est le fruit d’un consensus entre le Hezbollah et Amal, bien que certains de ses membres ne soient affiliés à aucun des deux camps. 

Ces citoyens précisent que la ville qui représente réellement Nabih Berry et son mouvement reste Tyr, laquelle reste moins ciblée par les frappes israéliennes. Si l’on interprète l’intensité des attaques comme un message de Tel Aviv au reste du monde, Tyr est une localité moins ciblée que Nabatiyé et son chef, l’insubmersible Berry, encore épargné.