La guerre par procuration entre l’Iran et Israël sur le sol libanais

FILE - In this photo released by the official website of the office of the Iranian supreme leader, Supreme Leader Ayatollah Ali Khamenei speaks during a meeting with a group of Basij paramilitary force in Tehran, Iran, on Nov. 26, 2022. Iran summoned the French ambassador on Wednesday, Jan. 4, 2023, to condemn the publication of offensive caricatures of Supreme Leader Khamenei in the French satirical magazine Charlie Hebdo. (Office of the Iranian Supreme Leader via AP, File)

L’attaque d’ampleur menée ce dimanche par le Hezbollah contre une base militaire dans le nord d’Israël marque une escalade dangereuse dans le conflit qui oppose le mouvement chiite pro iranien à l’État hébreu. Mais au-delà de l’affrontement direct entre les deux ennemis jurés, c’est une véritable guerre par procuration entre leurs parrains respectifs, l’Iran et Israël, qui est en train de se jouer sur le sol libanais.

Dimanche soir, à l’heure du dîner, une escadrille de drones explosifs du Hezbollah a frappé de plein fouet un camp d’entraînement militaire israélien près de Haïfa, tuant 8 soldats et en blessant près de 120 autres. Le timing de l’attaque, soigneusement choisi pour faire un maximum de victimes alors que les militaires étaient réunis pour le repas, témoigne du niveau de planification et de renseignement du mouvement chiite. Sur les réseaux sociaux, l’opération a d’ailleurs été surnommée le « dernier repas », une allusion macabre à la Cène et au sort funeste des soldats israéliens.

Cette frappe d’une précision chirurgicale témoigne des capacités opérationnelles résiduelles du Hezbollah, et ce malgré la décimation de sa direction et l’élimination d’une part substantielle de ses arsenaux. Le mouvement chiite conserverait près d’un tiers de ses missiles de portée intermédiaire à longue, une force de frappe encore redoutable.

Fort de cette puissance de feu toujours significative, le parti de Dieu n’a plus peur de provoquer directement l’État hébreu, comme en atteste l’opération d’hier soir. Il s’agit d’un avertissement on ne peut plus limpide adressé à Israël : toute incursion au Liban se paiera au prix fort. Les porte-voix du Hezbollah promettent d’ailleurs des « lendemains encore plus douloureux » en cas de nouvelles frappes israéliennes.

Ses combattants, fanatisés jusqu’au tréfonds de leur être, n’hésiteront pas à déclencher un déluge de feu au moment le plus propice pour leur cause. Alors que les affrontements font déjà rage sur le terrain, gageons que ce ne sont là que les prémices d’une confrontation appelée à s’envenimer de manière paroxystique dans un avenir immédiat.

 

Israël sur le pied de guerre

 

Côté israélien, l’attaque du Hezbollah a ravivé le douloureux souvenir du 7 octobre 2023, quand le pays avait subi sa frappe la plus meurtrière depuis des années. Une première riposte ne s’est pas fait attendre : l’aviation israélienne a pilonné les positions du mouvement chiite au Liban. Yoav Gallant, ministre de la Défense, a juré de « pourchasser les terroristes du Hezbollah jusque dans leurs derniers retranchements, y compris auprès de leurs parrains ». Une référence à peine voilée à l’Iran et à la Syrie, soutiens déclarés et terres d’accueil du Hezbollah. Mais Israël est allé plus loin en avertissant que « Le Liban tout entier était désormais considéré comme une cible pour les frappes israéliennes » sortant du cadre initial de l’offensive, qui se voulait circonscrite au Hezbollah, et donc limitée à la banlieue sud de Beyrouth et au Liban Sud. Des sources haut placées au sein du gouvernement israélien affirment que l’attaque de dimanche a « mélangé les cartes » et qu’une nouvelle doctrine pour cette guerre est en cours d’élaboration. Tout indique qu’Israël s’apprête à franchir un cap dans l’escalade militaire, en étendant le champ de bataille à l’ensemble du territoire libanais.

 

L’Iran tire les ficelles, le Liban otage

 

Mais la véritable partie se joue en coulisses, entre les deux grands ennemis régionaux : l’Iran et Israël. Le Hezbollah n’est qu’un instrument au service de la stratégie de puissance de Téhéran, qui rêve d’étendre son influence jusqu’à la Méditerranée. Le Liban est le ventre mou du Moyen-Orient, où l’Iran s’est engouffré via le Hezbollah.

La nomination express par les Gardiens de la Révolution iraniens d’un nouveau responsable iranien par intérim du Hezbollah, quelques heures seulement après l’attaque, confirme que le centre de gravité a basculé à Téhéran. En adoubant aussi ouvertement ses hommes liges au Liban, le régime des Mollahs rappelle qu’il contrôle ses pions sur l’échiquier régional. Une façon de dire à Israël et ses alliés occidentaux que l’Iran peut mettre le feu aux poudres à tout moment, sur plusieurs fronts simultanés, de la Méditerranée au Golfe.

Face à ce grand jeu des puissances, le Liban n’est qu’un pion ballotté au gré des intérêts des uns et des autres. La classe politique libanaise, divisée et inféodée à des puissances étrangères, assiste impuissante aux événements. Ses appels au cessez-le-feu ou ses tentatives pathétiques d’élire un président apparaissent totalement dérisoires et inaudibles. Les dirigeants libanais sont non seulement déconnectés du réel, mais également les premiers responsables de ce coup d’état iranien effectué impunément au Liban. Ils pensent encore qu’un communiqué ou une réunion de crise peut encore changer la donne ! Mais les décisions se prennent désormais à Téhéran, Jérusalem ou Washington.

Pendant ce temps, les Libanais sont étreints par la peur d’une escalade dévastatrice du conflit qui déchire déjà leur nation. C’est avant tout la réaction d’Israël après la frappe de dimanche qu’ils redoutent, pressentant des représailles d’une violence inouïe. Le souvenir des destructions et des victimes de la guerre de 2006 est encore vif dans les mémoires. Alors qu’on leur promet que 2024 sera la « dernière guerre d’Israël au Liban », les civils peinent à imaginer ce qui subsistera de leur pays et de leur peuple au sortir de ce nouveau déluge de feu.

Mais dans la froide équation de la confrontation israélo-iranienne, l’anéantissement du Liban apparaît comme une simple variable d’ajustement, un dégât secondaire presque négligeable au regard des enjeux. Pour assouvir ses ambitions régionales, Téhéran semble prêt à faire du pays du Cèdre un gigantesque champ de ruines, quitte à le vider de ses habitants. Le Hezbollah et, à travers lui, le régime des Mollahs, mèneront leur guerre jusqu’au dernier Libanais, sans état d’âme.

 

L’indifférence de la communauté internationale

 

Dans ce contexte explosif, seule une médiation prompte et efficace de la communauté internationale pourrait encore avoir une chance d’endiguer cette guerre dévastatrice qui s’est déjà enracinée au Liban et ne cesse de prendre de l’ampleur. Une action diplomatique d’envergure s’avère indispensable pour apaiser les tensions et ramener les différents protagonistes à la raison. Cependant, les belligérants semblent résolus à laisser le champ libre aux armes. La France, qui conserve une influence relative au Liban, s’active en coulisses, multipliant les consultations, mais sans pour autant engager d’actions concrètes. En somme, les condamnations fusent de toutes parts, à l’instar de l’ensemble de la communauté internationale, mais sans réel impact. Il faut dire que la voie est étroite et parsemée d’embûches. Israël et l’Iran se sont lancés dans une surenchère belliqueuse, déterminés à en découdre frontalement, eux qui cherchent l’affrontement depuis des années. Les États-Unis, allié indéfectible d’Israël, souhaitent ouvertement que leur protégé règle ses comptes avec le Hezbollah, voire même avec l’Iran, avec leur soutien.

Ces calculs cyniques font du Liban le jouet des rapports de force régionaux et internationaux. Pendant ce temps, les Libanais, suspendus aux décisions de puissances qui les dépassent, retiennent leur souffle. Leur pays, otage des logiques guerrières, se retrouve une fois de plus au bord du gouffre. L’histoire se répète, implacable et tragique.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)