Une comédie désopilante sur ce qu’est « d’être noir » en FFrance

Dans ce film roboratif et délicieusement loufoque, tout le monde en prend pour son grade : black, blancs, beurs, clampins inconnus ou bien célébrités du show-biz… personne n’est épargné par l’humour caustique de Jean Pascal Zadi, surtout pas lui-même qui n’hésite pas à ironiser sur ses grandes dents en avant ni à chorégraphier son grand corps parfois pataud. Et avec un casting d’enfer dont…Jean-Pascal Zadi
,  Fary,  Lilian Thuram
, Claudia Tagbo, Cyril Hanouna
, 
Joey Starr, 
 Mathieu Kassovitz
, Fabrice Eboué
, Omar Sy et on en passe

Sandra JOXE

À voir ou à revoir en replay accès libre sur Arte Jusqu’au 7 janvier 2025

L’auteur – réalisateur et comédien principal du film, Jean Pascal Zadi, a reçu le César de la Meilleure Révélation Masculine pour son interprétation magistrale

Un acteur en galère a l’idée d’organiser une grande marche d’hommes noirs à Paris pour protester contre la sous-représentation des Noirs dans la société et dans les médias. En vue de la promotion de son projet, il rencontre des personnalités influentes de la communauté noire : les humoristes Fary et Éric Judor, les rappeurs Soprano et JoeyStarr ou encore l’ancien footballeur Vikash Dhorasoo, ainsi que des militants comme la Brigade anti-négrophobie

Mais il va vite constater tous, même s’ils adhèrent dans un premier temps à son idée, ont des conceptions très différentes de leur identité noire, du fait notamment de leurs expériences personnelles et de leurs origines africaines, caraïbéennes, ou métisses. Il devient difficile de définir ce qu’est un Noir et qui est « suffisamment noir » pour pouvoir participer à cette marche. Des afroféministes vont lui demander d’ouvrir sa marche aux femmes noires, des Beurs et des Juifs vont souhaiter s’associer à sa marche… Face à cette avalanche de revendications  contradictoires le héros va perdre les pédales et se prendre les pieds dans le tapis, accumuler les gaffes et s emettre pas mal de gens à dos, malgré son immense capital sympathie.

Son initiative « militante » mais hasardeuse ne l’empêche pas de se présenter à des castings dans l’espoir de faire décoller sa carrière d’acteur, mais là aussi il se heurte à la dure réalité d’une France clivée et pétrie de stéréotypes : il se voit toujours proposer des rôles caricaturaux. Celui que finit par lui proposer son copain Fary n’est pas des plus subtile non plus. Bref, Zadi navigue de déconvenues en déconvenues dans ce film hilarant mais dérangeant.

La marche ne rassemblera finalement qu’un faible nombre de participants, mais permettra à JP  de passer un moment de complicité avec femme et enfant et de se rapprocher de son père. Eloge de la famille ?

Zadi en bon père de famille, dans le film il fait jouer son propre fils… mais le rôle de sa femme est interprétée par la comédienne Caroline Anglade

Un faux documentaire…! 

« Bonjour, je m’appelle Jean-Pascal, j’ai 38 ans et je suis en colère parce que la situation des Noirs dans ce pays est catastrophique… »  et s’ensuit un cortège de revendications : plus de visibilité des noirs dans les films, à la télévision, en politique. Dans son petit appartement, il parle face caméra devant une équipe de télévision censée réaliser un documentaire sur son projet, une « grosse marche de contestation noire » prévue place de la République, à Paris

Mais le show dérape immédiatement : tandis qu’il se lance dans un discours solennel et revendicatif en citant Nelson Mandela, celui qui va se révéler un charmant looser (acteur en galère d’une maladresse digne de Gaston Lagaffe), sa femme (blanche) entre dans le champ  en arrière plan et lui demande prosaïquement : « T’as pensé à pendre le linge ? » et puis il faut aller chercher le gosse a l’école aussi.

Le ton est donné : celui de la mise en abyme et de la dérision tous azimuts. Usant du principe du faux documentaire, le réalisateur  jongle avec tous les clichés concernant la «  cause noire » pour mieux les faire exploser en vol, dans des éclats de rires successifs.  Pour ce faire, Zadi a réussi à embarquer dans son délire toute une floppée d’humoristes, musiciens, comédiens qui ont accepté de se prêter au jeu et incarnent leur propre rôles, sans refuser parfois la féroce caricature d’eux-mêmes.

Mais au delà de ce qui pourrait apparaître comme un film sympa, un canular un peu potache réalisé avec une bande de copains, Tout simplement un Noir  en dit long sur le racisme ordinaire de la société française comme sur les multiples travers du communautarisme.

Sans jamais, jamais tomber dans les travers du politiquement correct.

Matthieu Kassovitz en autocaricature délirante de réalisateur allumé

C’est quoi un noir ?

En voulant à tout prix rassembler « ses frères » en vue d’une « Marche » de protestation, le héros papillonne de ci delà, au gré de ses rencontres,  il veut faire le buzz sur les réseaux sociaux, il veut convaincre les stars, il veut tout et ose tout !

Ne doute jamais de lui (ni des autres) dans un délicieux mélange d’égo-centrisme lourdingue  et de générosité naïve.

Ce qui engendre une succession de sketchs désopilants illustrant tous, à leur manière, l’impossible rassemblement autour d’une cause commune simplement énoncée.

Dans une scène de fête chez JoeyStarr, le réalisateur est pris à partie. C’est quoi exactement « un renoi » pour lui ? Et d’ailleurs, qui peut participer à sa grande marche des Noirs ? L’ancien footballeur Vikash Dhorasoo sera-t-il le bienvenu, lui qui est né à Harfleur de parents mauriciens et de grands-parents indiens ?

Zadi le répète : Personne ne s’accorde à définir ce qu’est “être noir”.

« En ce moment, on parle beaucoup de l’identité noire. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Finalement, on se rend compte que ça ne veut rien dire. C’est surtout une construction historique et culturelle qui a permis à un moment aux uns d’exploiter les autres. C’est fou de constater, encore aujourd’hui, que nous sommes enfermés dans ces questions de races qui piègent le débat. J’ai l’impression d’être un Bisounours quand je dis ça mais tant pis ».

D’où la complexité, la subtilité du scénario sous ses airs de grosse comédie populaire.

Zadi l’anti héros un peu naïf, un peu benêt mais tellement attachant dans sa façon sincère de mettre à tous les coups, les pieds dans le plat, il s’en prend plein les dents (qu’il a en effet très proéminentes !) tous comme les autres. Encore plus. Mais à c eprix qu’il offre une vision très dialectique du racisme ordinaire et des dangers de l’exclusion, d’où qu’elle vienne.

L’humoriste Fary dans son propre rôle, dans l’autodérision salutaire, lui aussi !

Car ceux qui le malmènent ou le manipulent ne sont pas seulement des blancs racistes (ou antiracistes) le film ne se gène pas pour critiquer l’opportuniste de ses « frères »,  le communautarisme et les assignations identitaires.

Le comédien-réalisateur danse sur la corde raide, se malmenant lui même comme il malmène sa brochette de guest-stars dans un festival de gags risqués.

Et l’on se retrouve, hilares, à regarder le Franco-Autrichien Éric Judor assumer enfin, en pleine rue et fort bruyamment, son ascendance guadeloupéenne : « Je suis un putain de Négro ! » Les humoristes Fary et Claudia Tagbo, les acteurs et réalisateurs Fabrice Éboué, Lucien Jean-Baptiste, mais aussi Lilian Thuram, Omar Sy, JoeyStarr ou Soprano… tout ce que la France compte d’icônes de couleur a dit oui à Zadi.

« Le fait d’avoir réussi à réunir autant de têtes noires connues du milieu artistique français a donné un caractère événementiel au film. » avoue Zadi.

Coup de bluff, coup de maitre

Le film qui a fait un tabac lors de sa sortie (800 000 entrées à sa sortie en 2020 et critique unanimement enthousiaste) n’a pourtant pas été facile à financer.

 Plusieurs boites de production refusent le projet et Jean äscal Zadi, à l’imag de son personnage dans le film, rame un peu. Se met au rap avec le collectif la Cellule et la fiction autoproduite (deux longs métrages distribués en DVD) puis un roman… Il finit par rentrer à Canal +  où il  rencontre son futur coréalisateur John Wax. Son ambitieux projet de film n’est pas aux oubliettes et il tente alors le tout pour le tout… , en assurant à Gaumont qu’il a tout le casting – ce qui n’est pas encore le cas.

Feu vert !

Il s’agit alors d’enrôler pour de vrai, dans leurs propres déformés, voire tournés en ridicule, les acteurs, comiques et personnalités  envisagées. Et ça marche !

Tous répondent à l’appel.

Avec en tête  le roi du stand up Fary, qui ne refuse pas l’autocaricature : en humoriste narcissique et  mégalo, activiste de salon, prête à tout pour le fric ou le buzz,.. jusqu’à des pubs nulles limites racistes.

De Fary à Eric Judor en passant Claudia Tagbo, Joey Starr, Fabrice Eboué, Lucien Soprano, Cyril Hanouna ou encore la journaliste Karen Guiock, tous se sont prêtés au jeu de ce vrai-faux documentaire qui pointe les contradictions de chacun avec un humour au vitriol. Le film ratisse large, pour le meilleur et pour le pire…

On y découvre Omar Sy, à peine arrivé d’Hollywood –  en  porsche et en chantre  de la bonne conscience populaire des blancs («la personnalité préférée des Français») et sa success story du noir engagé dans l’humanitaire…. mais il est aussi question d’un visite chez Dieudonné ( qui n’apparaît pas à l’écran mais dont on entend les aboiements agressifs de ses chiens présumé !).

 

Césaire, Senghor, Fanon

Élevé dans le Calvados par des parents ivoiriens, Jean-Pascal Zadi s’est toujours interrogé sur sa « négritude » : « J’ai conscience d’être le fruit d’une longue histoire, qui a commencé il y a bien longtemps, avec le Chevalier de Saint-Georges, la négritude, la Revue noire, etc. Dire le mot “nègre” est une référence à Césaire, Senghor, Fanon, tous ces gars-là. »

Tout simplement Noir fait rire mais c’est aussi l’autoportrait, touchant, parfois mélancolique d’un homme en crise, en quête de sens comme de statut social : le mec sympa de quarante ans qui se demande ce qu’il va enfin faire de sa vie.

Zadi a beau être (bon) père de famille  (dans le film comme à la ville) le spectateur sent que  le film flirte parfois avec l’autofiction et que son auteur-héros, s’interroge sur son image d’ado  attardé sympathique et gaffeur qui lui sert de passeport pour circuler vaille que vaille d’un milieu à l’autre, de la rue aux salons show-biz en quête d’une reconnaissance dont il découvre rapidement le revers et les limites. Les scènes avec son père, solidaire mais sceptique, sont révélatrice à cette égard et le film est aussi une métaphore du passage à l’âge adulte.

« Le faux documentaire s’est imposé d’emblée. On voulait que le film se déroule dans une réalité concrète et tout de suite reconnaissable. Ce contre quoi mon personnage lutte – le racisme, l’invisibilité des Noirs – n’est pas une fiction. Le fait de garder mon nom s’inscrivait dans cette même logique, même si j’espère être un peu moins con et mégalo que mon personnage ! Dans cette petite tirade face caméra, mon personnage de comédien raté montre toute son ambiguïté. Il essaie de dénoncer une situation bien réelle, mais le fait-il pour se mettre au service de la cause ou pour pousser son propre agenda ? C’est là que vient se nicher la comédie. »

Une comédie en forme d’auto-critique aussi, et qui a bien lancé la carrière de Zadi.

Il y a du vrai dans ce faux documentaire.

Beaucoup de vrai.

 

 

 

 

 

 

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)