Illustrant la porosité des élites nigériennes avec les acteurs du crime organisé, le Touareg Goumour Atoua Bidika, plus connu sous son dernier patronyme, est sorti de la discrétion dans laquelle il évolue d’habitude pour endosser le titre de chef de tribu Kel Tedele, le 25 septembre dernier, à l’occasion d’une cérémonie tapageuse dans le massif de l’Aïr.
Plusieurs personnalités locales ont honoré l’événement de leur présence. Bidika était le seul candidat et il a été élu par la quasi totalité des voix recueillies dans la chefferie locale, réputée proche des milieux trafiquants.
Si la société du nord du Niger est plutôt tolérante sur les écarts de certains de ses leaders, les affaires de drogue ne sont pas habituellement associées publiquement aux responsabilités traditionnelles, malgré le pouvoir financier qu’elles confèrent à ceux qui les contrôlent.
Bidika avait eu les honneurs du rapport final, daté du 7 août 2020, du groupe d’experts nommé au titre de la résolution 2374 du Conseil de sécurité sur le Mali. Il y était présenté comme « un proche associé » de Cherif Ould Abidine, alias Cherif cocaïne, le parrain du Niger jusqu’à sa mort en 2016, à la veille du dernier meeting de la campagne pour la réélection de Mahamadou Issoufou, qu’il avait organisé à Agadez. Abidine était le président de la Fédération d’Agadez du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme au pouvoir. Selon le rapport, Bidika était chargé du transport de la drogue vers la Libye, où le cannabis change de mains avant d’être acheminé au Proche-Orient via l’Egypte. La mort d’Abidine a provoqué la fracture des réseaux de trafic de drogue au Niger et leur mise en concurrence.
En 2018, alors que Mohamed Bazoum était ministre de l’Intérieur, plusieurs saisies de drogue ont été opérées dans le contexte de rivalité des narcotrafiquants, probablement sur dénonciation. Le contre-espionnage nigérien avait été épinglé pour sa proximité avec certains d’entre eux.
Le 2 mars 2021, Bidika est tombé à son tour, après la saisie de 17 tonnes de résine de cannabis libanais, venu au Niger par Lomé. Jusque là, il transportait surtout du cannabis marocain. La drogue était dissimulée dans un camion citerne immatriculé au Bénin et censé contenir des hydrocarbures. L’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) avait interpellé et fait placer sous mandat de dépôt 13 personnes, 11 Nigériens – dont Bidika – et deux Algériens, poursuivis pour trafic international de drogue, blanchiment de capitaux et association de malfaiteurs. Mais Bidika, décidément vernis, avait été libéré en octobre de la même année pour un vice de procédure. Ancien guide, ancien rebelle, ancien fraudeur habitué des routes de la contrebande, Bidika accède donc désormais à la respectabilité.
En janvier 2022, c’est le maire socialiste de Fachi, une commune du Ténéré, qui avait été interpellé dans le cadre de la saisie d’une cargaison de 214 kg de cocaïne. Avec la chute du gouvernement Bazoum et la dislocation du parti socialiste, la guerre des narcotrafiquants ne devrait pas tarder à reprendre.