Le Hezbollah, acteur clé de la politique libanaise et champion autoproclamé de la « résistance » contre Israël, est en crise. Affaibli par des revers militaires et une contestation interne, le « Parti de Dieu » voit son aura d’invincibilité se ternir. Tiraillé entre sa posture existentielle de rempart contre l’État hébreu et la tentation d’un repli dicté par la place qu’il a désormais acquise au coeur du pouvoir libanais, ce mouvement chiite est d’abord l’exécutant des volontés de Téhéran. Le fait que l’ambassadeur de l’Iran, relié au système de communication interne du Hezbollah, ait été atteint lors de la première attaque israélienne de cette semaine illustre à lui seul la formidable consanguinité entre les cadres du parti chiite et les dirigeants iraniens.
Face aux coups très durs portés par l’armée israélienne au mépris de l’intégrité territoriale du pays du Cèdre et de la population civile libanaise, le Hezbollah fera des choix dans les semaines à venir qui impacteront lourdement l’avenir du Liban ainsi que la stabilité régionale. La crise existentielle du Hezbollah a été brutalement mise en lumière par la capacité des services israéliens à infiltrer les systèmes de communication des combattants ainsi que par l’élimination ciblée d’Ibrahim Aqil, haut commandant militaire du mouvement, dans une frappe sur Beyrouth, qui a causé trente et un morts et 68 blessés, selon le ministère libanais de la Santé. La riposte du Hezbollah n’est pas pour l’instant à la mesue des coups portés. Vendredi, l’armée israélienne a annoncé qu’environ 140 roquettes avaient été tirées du Liban vers Israël à la mi-journée. Le Hezbollah a revendiqué des tirs de roquettes sur plusieurs sites militaires israéliens, dont une base des renseignements.
« Le chef charismatique du Hezbollah, Hassan Nasrallah, habitué à électriser les foules avec ses diatribes enflammées, peine soudainement à convaincre », écrit Karim Nasri, un universitaire libanais dont nous publions une chronique et qui préfère signer d’un pseudonyme compte tenu des menaces que fait peser aujourd’hui au Liban le mouvement chiite contre toute parole libre.
La rédaction de Mondafrique
Le Hezbollah, ce « Parti de Dieu » qui a émergé des décombres de l’invasion israélienne du Liban en 1982, a parcouru un long chemin. De simple milice chiite, le voilà qui se substitue désormais, à un État libanais inexistant, qui fait et défait les gouvernements à Beyrouth. Mais derrière cette façade triomphante, une réalité plus prosaïque se dessine : l’existence même du Hezbollah semble indissociable de son opposition à Israël. Sans cet ennemi providentiel, comment justifier cet arsenal pléthorique qui défie l’autorité de l’État libanais ? Comment légitimer ce statut d’organisation paramilitaire qui court-circuite allègrement les institutions nationales ? Des questions qui méritent d’être posées, à l’heure où le « Parti de Dieu » voit son image d’invulnérabilité sérieusement écornée.
La montée en puissance du Hezbollah
Mais avant de plonger dans les tourments actuels du Hezbollah, un petit retour aux sources s’impose. C’est dans le maelström de la guerre civile libanaise et sur les pilotis de la révolution islamique iranienne que le « Parti de Dieu » a vu le jour. Un contexte explosif qui a servi de rampe de lancement à cette milice chiite, rapidement devenue le fer de lance de la « résistance » à l’occupant israélien.
Sous la baguette du chef d’orchestre de Téhéran, qui voyait là une opportunité en or d’exporter sa révolution à l’ensemble de la région, le Hezbollah a alors pris son envol. Entraînement, armement, financement : les Gardiens de la révolution iraniens n’ont pas lésiné sur les moyens pour faire de leur poulain libanais une machine de guerre redoutable.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’investissement a été rentable. En quelques années, le Hezbollah a tissé sa toile, insinuant ses tentacules dans tous les rouages de la société libanaise. Services sociaux, éducation, santé : rien n’échappe à l’empire tentaculaire du « Parti de Dieu ». Mais ce n’est pas tout. Le Hezbollah est également à la tête de mafias à peine déguisées, trempant dans le trafic de drogue, la contrebande et le blanchiment d’argent. Une véritable économie de cash parallèle, qui s’est patiemment construite sur les failles béantes d’un Liban en déliquescence.
Sur le plan militaire, les combattants aguerris de la milice ont mené la vie dure à Tsahal dans le bourbier du Sud-Liban, jusqu’à arracher un retrait israélien en 2000. Une première « victoire divine » qui a propulsé le Hezbollah au pinacle de la gloire, lui conférant une aura de prestige sans pareil dans le monde arabe.
Fort de ces succès, le Hezbollah a logiquement investi la scène politique libanaise. Députés, ministres, voire des portefeuilles régaliens : rien ne semble résister à l’irrésistible ascension du Hezbollah. Un petit tour de passe-passe rendu possible par le système confessionnel libanais et la bienveillance intéressée de la Syrie, alors maître du jeu à Beyrouth.
Israël, une nécessité existentielle
L’ADN même du Hezbollah est indissociable de son opposition farouche à l’État hébreu. Depuis son manifeste fondateur de 1985, le « Parti de Dieu » a érigé la destruction d’Israël en alpha et oméga de son engagement. Une posture nourrie par l’idéologie révolutionnaire iranienne, qui voit dans la « libération de Jérusalem » un préalable indispensable à son hégémonie régionale.
Mais cette rhétorique enflammée n’est pas qu’un simple exercice de style. Elle sert de justification commode au maintien d’un arsenal militaire impressionnant, qui défie ouvertement la souveraineté de l’État libanais. Face aux appels récurrents au désarmement des milices, héritage empoisonné de la guerre civile, le Hezbollah agite invariablement le spectre de la « menace israélienne ». Un argument imparable pour légitimer son statut d’organisation paramilitaire, au mépris des institutions nationales.
Cette posture de « résistance » permet aussi au Hezbollah de transcender habilement les clivages confessionnels libanais. En se posant en champion de la lutte contre l’ennemi sioniste, le « Parti de Dieu » peut se draper dans les atours du patriotisme, et faire oublier sa nature essentiellement communautaire. Une stratégie payante, qui lui a permis d’élargir son audience bien au-delà de sa seule base chiite.
Cette instrumentalisation de la « menace israélienne » ne s’arrête pas là. Elle sert aussi de prétexte commode pour justifier le contrôle de facto exercé par le Hezbollah sur de larges portions du territoire libanais. Sous couvert de « protéger » le pays du Cèdre contre les agressions de Tsahal, le Hezbollah a imposé son ordre sécuritaire et politique dans son fief du Sud-Liban et de la Bekaa. Avec la bénédiction, il faut bien le dire, d’un État libanais réduit au rang de spectateur très souvent complice et impuissant volontaire !
L’effritement du mythe d’invincibilité
Mais voilà qu’aujourd’hui, le bel édifice du Hezbollah commence à se lézarder. Sous les coups de boutoir répétés d’Israël, le mythe de l’invincibilité de la milice s’effrite comme un château de sable. Les opérations de Tsahal, d’une audace et d’une précision chirurgicales, ont mis à nu les vulnérabilités d’un Hezbollah soudainement bien fébrile.
Le ciblage méthodique des cadres du parti a semé le trouble dans les rangs. Malgré les efforts du Hezbollah pour compartimenter ses activités et protéger ses dirigeants, les « taupes » israéliennes semblent avoir infiltré le saint des saints. Un constat amer pour une organisation obsédée par le culte du secret et de la clandestinité.
Mais le coup le plus rude est sans doute venu de l’attaque massive contre les systèmes de communication du Hezbollah. En neutralisant simultanément des centaines de pagers et de talkies-walkies, Tsahal a mis à terre le système nerveux de la milice chiite. Au-delà des dégâts matériels, c’est la confiance des combattants dans leur propre sécurité qui a été ébranlée. Comment continuer à se battre quand on sait que l’ennemi peut vous écouter, vous localiser et vous anéantir à tout moment ?
Ces revers ont également mis en lumière les limites de la stratégie de dissuasion du Hezbollah. Malgré son arsenal pléthorique de roquettes pointées sur Israël, le « Parti de Dieu » semble incapable d’empêcher Tsahal d’opérer à sa guise au Liban. La perspective d’une riposte d’envergure, qui engagerait le pays dans une guerre dévastatrice, semble agir comme un puissant inhibiteur sur les velléités militaires du Hezbollah.
Pris entre le marteau de son image de « résistance » et l’enclume de la préservation de ses acquis, le Hezbollah est condamné à encaisser les coups sans broncher. Une posture difficile à tenir, qui commence à susciter des interrogations chez ses partisans. À quoi bon disposer d’une « armée dans l’armée » si elle ne peut défendre le pays contre les incursions de l’ennemi !
Un soutien iranien à géométrie variable
Au cœur de cette tempête, Téhéran, absorbé par son bras de fer nucléaire avec l’Occident, a tendance à jouer la carte de la prudence. Certes, la République islamique n’a aucun intérêt à laisser son poulain libanais être affaibli. Le Hezbollah reste, pour elle, un atout précieux pour maintenir une pression sur Israël et les États-Unis et disposer d’une capacité de nuisance en cas de conflit.
Il faut dire que l’Iran est aussi un acteur rationnel, qui sait adapter son soutien en fonction de ses propres intérêts. Face aux sanctions occidentales et dans la perspective d’un accord sur le nucléaire, Téhéran pourrait être tenté de donner des gages de « bonne volonté », en modulant temporairement son appui au Hezbollah. Une perspective peu réjouissante pour le « Parti de Dieu », qui risquerait de voir ses ressources financières et militaires amputées.
Et que dire du risque d’un embrasement régional ? Si le Hezbollah venait à déclencher une confrontation majeure avec Israël, il entraînerait inévitablement l’Iran dans son sillage. Un scénario catastrophe pour les mollahs, qui verraient leurs efforts de normalisation diplomatique réduits à néant. Téhéran tente d’ailleurs de calmer le jeu, quitte à recadrer quelque peu les ardeurs guerrières de son allié libanais.
Le Hezbollah pourrait ainsi se retrouver dans une position délicate, pris en tenaille entre la pression israélienne croissante et une implication iranienne plus mesurée. Un inconfort qui pourrait le contraindre à revoir ses ambitions à la baisse et à se concentrer sur la préservation de ses acquis politiques et territoriaux au Liban. Un repli tactique qui n’irait pas sans douleur pour un mouvement habitué à clamer haut et fort sa vocation « résistante ».
Une crédibilité érodée
Dans ce contexte morose, c’est la figure même de Hassan Nasrallah qui semble vaciller. Ses promesses de ripostes « décisives » face aux attaques israéliennes, sans cesse réitérées mais jamais concrétisées, commencent à susciter le scepticisme, voire la frustration, chez certains de ses fidèles. Et l’ironie…
Force est de constater le contraste saisissant entre la rhétorique guerrière du « Parti de Dieu » et son impuissance manifeste sur le terrain. Un grand écart de plus en plus difficile à tenir, qui risque à terme de saper l’autorité de Nasrallah.
Dans le monde impitoyable de la « résistance », la crédibilité se mesure avant tout à l’aune des victoires militaires.
Au-delà de la personne de Nasrallah, c’est toute la stratégie du Hezbollah qui semble remise en question. En s’arc-boutant sur son identité « résistante » alors que la perspective d’une victoire contre Israël s’éloigne, le « Parti de Dieu » ne pourrait constamment ignorer les aspirations de la population libanaise à une vie normale, loin des soubresauts guerriers et des privations économiques ?
Une tentation pourrait alors se faire jour : celle d’un repli identitaire, d’un raidissement sécuritaire pour étouffer toute velléité de contestation. Faute de victoires contre Israël, le Hezbollah pourrait chercher à resserrer son emprise sur le Liban, en muselant ses opposants et en marginalisant encore davantage les institutions étatiques. Une fuite en avant autoritaire, en somme, pour masquer ses échecs sur le front de la « résistance ».
Mais ce serait là un pari hautement risqué. En se coupant d’une partie de la population libanaise et en s’aliénant l’opinion internationale, le Hezbollah signerait un probable arrêt de mort politique. Il ne serait plus alors qu’une milice sectaire parmi d’autres.
Le Hezbollah, derrière ses oripeaux de « résistance nationale », n’a en réalité rien de véritablement libanais. N’a-t-il pas, depuis ses origines, revendiqué son allégeance à l’Iran ? Ne s’est-il pas, à maintes reprises, vanté d’être financé et armé par Téhéran ? Le « Parti de Dieu » n’est, au fond, que le bras armé de la République islamique au Liban, un instrument au service des intérêts et de l’idéologie des mollahs.
Il est grand temps que les masques tombent. Que le Hezbollah soit enfin reconnu pour ce qu’il est : une excroissance étrangère sur le sol libanais, un cheval de Troie iranien au cœur du pays du Cèdre. Un mouvement qui, sous couvert de défendre le Liban, n’a eu de cesse de le mettre en péril, de l’entraîner dans des aventures guerrières dont il n’a de cesse de faire les frais.