L’ivoirien Ahoua Don Mello, l’homme des BRICS, au secours des déshérités

Ahoua Don Mello, vice-président de l’Alliance internationale des Brics, déclare àMondafrique: « Les déguerpissements sont une opération d’accroissement de la pauvreté » Ancien directeur général du Bureau national d’études techniques et de développement (Bnetd) et rompu aux questions de planification du développement, Ahoua Don Mello analyse les opérations déguerpissements qui ont eu lieu dans la ville d’Abidjan et explique pourquoi cela constitue un accélérateur de pauvreté.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Mondafrique. Avec beaucoup de recul, qu’avez-vous pensé des déguerpissements et celui d’Adjamé en particulier, vous qui avez été pendant dix directeur général du Bureau national d’études techniques et de développement (Bnetd) ?

Pour répondre à votre question, je dirai que le déguerpissement au sein du village d’Adjamé, qui aurait dû être une opération de développement du village, est devenu une opération d’accroissement de la pauvreté, de la mortalité et de la mauvaise gouvernance. Il exprime le caractère non démocratique de l’état de Côte d’Ivoire. Car cela montre que le pouvoir s’exerce contre le peuple au lieu d’être exercé par le peuple et pour le peuple.

Mondafrique. En tant qu’ancien patron du Bnetd, qu’est-ce que l’Etat a prévu pour les villages Atchans en particulier ? Et que répondez-vous au ministre de la construction et de l’urbanisme qui s’étonne qu’il y ait encore des villages à Abidjan avec un mode de vie qui ne reflèterait pas celui de notre capitale ?

Les techniques et les communautés villageoises évoluent avec le temps ainsi que les besoins et les aspirations de ces communautés. Les techniques de planification urbaine sont passées de la planification technocratique qui se faisait par des experts sans la participation de la population à une planification démocratique qui se fait avec la participation de la population dans l’intérêt des populations.

Les besoins socio-économiques des villages atchans sont passés des besoins primaires à des besoins secondaires et tertiaires compte tenu du caractère urbain de la ville d’Abidjan et de l’élévation du niveau de formation et d’éducation de sa population. La planification de la rénovation urbaine doit donc permettre de prendre en compte la création de nouvelles opportunités d’emplois et d’entrepreunariats pour la communauté et un nouveau mode de vie définit de concert avec la population qui épouse l’histoire, la géographie, la culture et la modernité de la population qui a intégré en son sein de nouvelles communautés.

Mondafrique. Quelle traduction politique aux récriminations du fait de ces déguerpissements?

Cela prouve qu’il faut changer d’approche pour prendre en compte les justes récriminations et les nouvelles aspirations de la communauté.

 

Ceci dit, faut-il détruire les villages pour qu’Abidjan en soit débarrassé une fois pour toute comme semble le suggérer le ministre Bruno Koné, ou les intégrer dans le plan de développement global de la ville ?

 

Si une planification urbaine se fait avec la participation de la population, il n’y aura aucune contradiction entre les besoins actuels de la communauté et les besoins modernes qui sont aussi ses besoins. Sous notre magistère, le Bnetd a eu une approche du développement qui consiste à s’inspirer des meilleurs exemples au monde pour les adapter au contexte socio-économique de la population bénéficiaire du développement. Et l’exemple marocain et brésilien ont retenu notre attention lorsqu’il a fallu proposer un programme de rénovation de la ville d’Abidjan qui a donné naissance au programme du grand Abidjan et au programme de transfert de la capitale.

En effet, la densité de la population d’Abidjan approche les 200 habitants au km2 contre une moyenne de 80 à l’intérieur du pays. Abidjan exerce donc une forte attractivité compte tenu de la concentration des activités publiques et privées modernes et de la concentration des investissements publics de modernisation des infrastructures urbaines.

En conséquence, la rénovation de la ville d’Abidjan devait être conduite de pair avec le transfert de la capitale à Yamoussoukro pour rééquilibrer l’attractivité des villes de Côte d’Ivoire ainsi que les opportunités d’emplois et d’entrepreunariats.

 

Quel a été pour vous le meilleur exemple entre le Brésil et le Maroc à cet égard ?

 

L’exemple marocain offrait une expérience intéressante, vu que la population participait à la conception et à la construction de son futur et à la démolition de son passé qui était dépassé. Cela préservait l’essentiel de son patrimoine historique et culturel d’une manière homogène sur toute l’étendue du territoire par la puissance d’une véritable politique de décentralisation administrative et socioéconomique.

L’expérience Brésilienne de transfert de la capitale de Rio de Janeiro à Brasilia a permis de voir une nouvelle ville aux normes environnementales avancées et à la pointe de la technologie avec le développement industriel, urbain, scolaire et sanitaire des villes environnantes pour satisfaire les besoins modernes de la population administrative et politique de Brasilia. Le transfert de la capitale à Brasilia a permis de développer l’attractivité des villes secondaires.

Le régime du Président Ouattara a abandonné ces options et la multiplication des infrastructures à Abidjan ne fait qu’accroître son attractivité et donc une augmentation incontrôlée de la population abidjannaise ainsi que le déséquilibre du développement national. Abidjan s’hypertrophie tandis que les villes de l’intérieur s’atrophient.

D’ailleurs, Abidjan est devenu une succession de lotissements avec une succession de bitumes et de béton sans espace environnemental et sans un projet urbain capable d’absorber la population, le trafic et l’eau en saison des pluies.

 

Est-ce que ces déguerpissements peuvent provoquer la désintégration des villages et donc leurs habitants ?

 

Absolument. Le déguerpissement d’Adjamé nous fait tous prendre conscience des risques de désintégration que fait courir le gouvernement d’Alassane Ouattara aux villages incrustés dans la ville. Que faut-il faire maintenant pour anticiper les problèmes de survie de ces entités que l’on perçoit clairement aujourd’hui ? Faut-il convoquer des états généraux ou un dialogue national autour de cette question ? Il faut populariser la méthode mise au point par le Bnetd suite à plusieurs missions d’évaluation des réponses aux problèmes similaires à travers le monde.