Candidat aux présidentielles du 11 octobre, l’ancien ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré, Djibrill Bassolé, critique la loi électorale qui exclut du scrutin les tenants de l’ancien régime. Entretien
Général de gendarmerie, ex ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré dont il fut un intime, Djibrill Bassolé persite et signe : il sera candidat aux présidentielles du 11 octobre qui doivent mettre fin à un an de transition politique au Burkina Faso. Problème, le nouveau code électoral adopté par les autorités de la transition rend inéligibles les anciens du régime Compaoré. Une mesure qu’il juge excluante, dangereuse et dont il compte bien contester la teneur jusqu’au bout.
Homme de réseau, envoyé spécial de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) pour le Sahel, ce diplomate chevronné est intervenu dans de nombreuses médiations sur le continent africain notamment au Niger, au Darfour, en Côte d’Ivoire ou encore au Mali où il doit se rendre samedi 20 juin pour la signature de l’accord de paix de Bamako. Une carrière qui lui a permis de nouer de nombreux contacts à l’international, en Afrique de l’Ouest, dans le Golfe et les pays occidentaux.
Opposé au projet de réforme constitutionnelle qui devait permettre à Blaise Compaoré de briguer un troisième mandat, son rôle qu’il qualifie de « modérateur » lors du soulèvement qui a provoqué la chute de l’ancien régime lui a valu des soupçons de trahison dans les cercles proches de l’ex président. Dans un entretien à Mondafrique, il revient sur son rôle pendant l’insurrection, livre son opinion sur le travail accompli par la transition et dénonce la nouvelle loi électorale.
Mondafrique. Vous avez annoncé votre candidature aux élections présidentielles du 11 octobre prochain. Or, le nouveau code électoral adopté le 7 avril rend inéligibles ceux qui ont oeuvré à la modification de la Constitution pour permettre à l’ancien président Blaise Compaoré de briguer un troisième mandat. Ne risquez-vous pas d’être mis à l’écart ?
Djibrill Bassolé. Il est souhaitable que cette loi ne connaisse même pas de début d’exécution. Comment une telle mesure visant à exclure spécifiquement une catégorie de personnes d’un processus électoral pourrait-elle avoir la moindre chance de consolider l’unité nationale ? Après 27 ans de règne, le régime de Compaoré a fabriqué une élite qui pèse encore de tout son poids dans les activités politiques, sociales et économiques du pays. Priver ces personnes du droit fondamental de se présenter à des élections me semble être la manifestation d’une intolérance qui ne peut qu’être source de problèmes. J’espère vraiment que les organes de la transition finiront par se décider à ne pas mettre en œuvre cette loi. Par ailleurs, concernant directement ma candidature, j’ai retrouvé un entretien que j’avais donné à Christophe Boisbouvier en 2011 où je disais très clairement que le projet de modification n’était pas souhaitable et qu’il pouvait être source d’instabilité.
M. Le Conseil Constitutionnel décidera de la légalité des candidatures à la présidentielle. Si la votre est refusée contesterez-vous cette décision ?
D.B. Oui, par tous les moyens légaux. Et je ne serai pas le seul à le faire. Mais je suis un légaliste, je me plierai à la décision ultime du Conseil constitutionnel. J’espère seulement qu’on n’en arrivera pas là car ce serait une reculade pour le Burkina Faso.
M. Comment réagit le pouvoir français face à cette mesure ? Le retard de la dernière visite de Michel Kafando à l’Elysée a alimenté les rumeurs de malaise chez les socialistes.
D.B. Il faut lire entre les lignes. François Hollande a souhaité que les élections soient « transparentes » et « incontestables ». Or, une élection exclusive ne peut qu’amener des contestations voire des troubles que la transition devrait à tout prix éviter. De surcroît, quel est le crime qui a été commis ? Quand les anciens dignitaires du régime ont voulu modifier l’article 37 de la Constitution, c’était en se basant sur les dispositions de la Constitution elle-même. Ils ont été arrêtés dans leur élan par une vague populaire qui les a sanctionnés. Et même s’ils avaient commis un crime, il aurait fallu les juger d’abord et que la décision judiciaire les rende inéligibles. Là, on est face à une mesure disproportionnée.
M. Lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, avez-vous tenté de dissuader les tenants de la modification constitutionnelle devant permettre à Blaise de briguer un troisième mandat ?
D.B. Oui. Je suis même intervenu auprès de Blaise lui-même. On me reproche de ne pas avoir démissionné. Mais si je l’avais fait, je n’aurais pas pu jouer le rôle de modération que j’ai joué lors de l’insurrection. J’ai fait tout mon possible pour que Blaise accepte de partir sans qu’il y ait d’affrontements. Je suis intervenu auprès des unités militaires pour qu’elles ne se battent pas pour le contrôle du pouvoir.
M. Cela vous a valu d’ailleurs valu des soupçons dans l’entourage de l’ex président.
D.B. Oui, dans un article de presse on m’a carrément taxé de « Judas de Blaise ». Je n’ai fait que jouer la tempérance et cela a permis d’éviter que les choses ne tournent mal et qu’il y ait une répression dure. Je me suis assuré auprès des collègues jeunes gendarmes qu’ils maintiendraient l’ordre tout en respectant les principes fondamentaux. Donc ce n’était pas plus mal.
M. Etes-vous toujours en contact avec Blaise Compaoré ?
D.B. Je suis toujours mal à l’aise avec cette question parce qu’elle donne l’impression erronnée que je suis suspendu au téléphone dans l’attente de recevoir des ordres. C’est totalement faux. Mais Blaise a été le président pendant 27 ans, un compagnon d’arme, un ami. Nous avons travaillé ensemble longtemps pour le bien du pays et de la sous région.
M. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la transition à laquelle les prochaines élections doivent mettre fin ?
D. B. Elle n’est pas encore achevée et j’espère qu’elle va rectifier le tir. Ma perception c’est que cette transition a été extrêmement politisée. Elle a souvent pris position. Par exemple en suspendant le CDP, le parti de Blaise, en vidant les conseils municipaux et régionaux acquis à l’ancien régime puis en favorisant tel ou tel parti. Tout cela ressemble à des règlements de compte qui chargent inutilement l’agenda de la transition.
M. Parmis les mesures annoncées dès le début de la transition figurait le démentèlement du RSP, l’ancienne garde rapporchée de Blaise. Or cette unité d’élite reste puissante et exerce des pressions sur le premier ministre Zida qui en a lui-même été le numéro 2. N’est-ce pas l’un des principaux échecs de la transition ? Doit-on conservcer le RSP dans sa forme actuelle au risque de créer une dichotomie entre un corps d’élite doté de nombreux avantages et le reste de l’armée ?
D.B. Personnellement, je n’étais pas favorable à la dissolution du RSP par la transition. C’est un acte qui, selon moi, sort de son agenda. D’autant que, compte tenu du rôle que cette unité a joué pendant l’insurrection, il était très maladroit de prendre des mesures punitives contre elle. Lors du soulèvement populaire, les militaires du RSP ont joué le rôle qu’ils devaient jouer. Ils ont défendu la présidence, exfiltré Blaise Compaoré, puis sont revenus se mettre à la disposition de leur chef Zida quand il s’est emparé du pouvoir pour épouser la transition. Ils ne se sont révoltés que lorsqu’il a emboité le pas à la société civile pour exiger leur démantèlement. C’est ce qui a amené notamment le RSP à demander la démission de Zida en janvier 2015.
M. Ne faut-il tout de même pas réformer cette unité dont le symbole est intimement associé à Blaise ?
D.B. C’est au nouveau président élu qu’il appartient de décider de ce qu’il veut faire du RSP. Mais ce n’est pas en prenant un acte de dissolution qu’on règlera le problème. D’autant que ce corps d’élite peut être un outil précieux compte tenu de l’insécurité qui règne actuellement en Afrique de l’Ouest. Si le pays venait a être fragilisé il pourrait devenir le siège d’activités terroristes. Or, le RSP est une unité anti terroriste efficace dotée de compétences spécifiques en la matière. Le démanteler simplement parce qu’on les soupçonne d’être des « pro Compaoré » est une erreur.
Mondafrique. Sur le plan judiciaire, plusieurs affaires brûlantes restent en suspens. On ne note pas d’avancées significatives sur le dossier Nobert Zongo par exemple, pas plus que sur les crimes économiques imputés aux dignitaires de l’ancien régime. Pensez-vous que ces derniers doivent être jugés ?
D.B. Il ne faut jamais favoriser l’impunité qui démolit la notion d’Etat de droit. S’il y a des infractions avérées, il faut coûte que coûte permettre à la justice de faire la lumière et de juger. Mais je ne prône pas non plus l’acharnement. Il ne faut en aucun cas instrumentaliser les affaires judiciaires pour régler des comptes politiques.
M. L’Elysée semble favoriser la candidature de l’un de vos adversaires, Roch Marc Christian Kaboré qui a été invité avec son allié Salif Diallo au Congrès du PS à Poitiers début juin. Comment percevez-vous ce choix ?
Ce qui est important c’est que les Burkinabés choisissent en toute liberté les personnes qui les dirigent. Ce qu’ils demandent en priorité c’est un candidat qui puisse stabiliser le pays. Et pour cela il faut un homme de compromis, capable de ne pas créer de trop gros contentieux avec les forces vives de l’ancien régime. Il faut à tout prix éviter de rentrer dans un cycle de vengeance et de représailles.