Le 27 juillet 2022, Emmanuel Macron atterrissait sur l’aéroport de Cotonou où il était reçu par le Président du Bénin, Patrice Talon, pour visiter l’exposition des oeuvres restituées par la France.
Seule réserve, le Bénin avait demandé également la restitution de la fameuse sculpture du Dieu Gou, une pièce maîtresse du culte vaudou, encensée par Guillaume Apollinaire et les artistes fondateurs de la Modernité tel Picasso ou Matisse. Or la France, pour l’instant, n’a pas accédé à cette dernière demande.
Une certitude, les Béninois sont venus pour l’instant en masse découvrir leur patrimoine restitué par la France. Ce qui fera taire tous les commentaires désobligeant sur le désintérêt des Africains pour leur patrimoine ou sur leur incapacité à présenter convenablement celui-ci.
Sur le (très) long chemin de la décolonisation la réalisatrice Mati Diop libère la parole des œuvres volées et des peuples spoliés. Le sujet est à vif depuis bien longtemps, et déjà en 1953 dans le film de Chris Marker et Alain Resnais Les statues meurent aussi. Le pillage des œuvres africaines, exposées dans des musées de deuxième catégorie, y était dénoncé.
Une chronique de Sandra Joxe
Voici un film coup de poing qui propose un regard original et visionnaire sur un événement qui aurait pu n‘être perçu que comme… politique.
Un documentaire onirique
Après son premier long métrage, Atlantique, une fiction aux allures de documentaire sur des ouvriers africains qui rêvent d’un eldorado européen (Grand Prix Cannes 2019) Mati Diop nous offre aujiurd’hui un film à la démarche apparemment inverse : un documentaire qui flirte avec la fiction, sur des statues de rois africains qui rêvent… d’un retour au pays !
Pourtant les deux films participent d’une même vision – poétique et politique – du monde (comme du cinéma) : un va et vient entre documentaire et fiction, un va et vient entre l’Afrique et l’Europe qui n’en finit pas d’en finir avec le spectre de la colonisation.
Mati Diop poursuit ainsi son enquête sur le passé et le présent des ses origines : les fantômes des jeunes émigrés noyés rêvant d’Europe (qui hantent le film Atlantique) laissent la place, dans Dahomey, aux esprits des rois africains, ou tout du moins à leur statues, enfin de retour sur leur terre natale après des années d’exil dans un musée français… le Musée du Quai Branly.
26 trésors restitués sur plus de 7000 !
En effet, en 2016, le président béninois Patrice Talon demande officiellement la restitution des artefacts pillés par la France lors de la conquête du Dahomey, ancien royaume situé au sud de l’actuel Dahomey, ancien royaume situé au sud de l’actuel Bénin.
Un an plus tard, Emmanuel Macron marque une rupture avec le discours de Ouagadougou (Burkina Faso) : «Je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France, déclare-t-il alors. Il y a des explications historiques à cela mais il n’y a pas de justification valable, durable et inconditionnelle, le justification valable, durable et inconditionnelle, le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. […] Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique.»
Mati Diop prend donc pour point de départ la restitution diplomatique par la France, en novembre 2021, de vingt-six trésors royaux volés à la fin du XIXe siècle au Royaume de Dahomey, devenu depuis le Bénin.
Mais, la réalisatrice a un projet plus ambitieux qu’un simple reportage sur l’événement… « Depuis 2017, j’avais un film de fiction en tête, où j’aurais fait parler un masque à la première personne, qui raconterait toute son histoire, de sa conception à son rapatriement en 2070 en passant par son pillage. Lorsque j’entends parler en 2021 du rapatriement, j’ai déjà mon axe, et à cela s’est rajouté la jeunesse béninoise. La question de la restitution est indissociable de la jeunesse africaine. Je supportais mal l’idée qu’un enjeu Je supportais mal l’idée qu’un enjeu aussi majeur que le sujet des restitutions soit accaparé par deux politiques, Patrice Talon [le président du Bénin, ndlr] et Emmanuel Macron, et qu’ils en fassent chacun un récit national ».
Le retour au pays
La réalisatrice commence par filmer les travées du musée du Quai Branly et les statues qui ont été enfermées en France pendant plus d’un siècle: l’atmosphère est pesante, angoissante, carcérale. La caméra s’attarde sur des espaces glacés, sans âme, éclairés au néon et truffé de caméras de surveillance, des ses entrepôts qui ressemblent à des cellules de prison. Les prisonniers de cette forteresse sont des œuvres d’art… exilées. La voix-off contribue à générer cette sensation angoissante : « la nuit est éternelle, le commencement et la fin ».
Et puis c’est le moment du voyage : les préparatifs, les emballages et l’arrivée « au pays ». Mais tout n’est pas simple là bas non plus pour ces œuvres déracinées , tout comme le retour au pays n’est pas simple pour les exilés.
« Tout est étrange », confie la statue après son retour au pays.
Que ce soit à Paris ou à Abomey, dans les salles ou les jardins du très chic Palais présidentiel de la Marinade, la caméra adopte le point de vue subjectif de l’esprit royal et multiplie les plans dérangeants, pour mieux faire ressentir aux spectateurs le déphasage ambiant : décadrages, prises de vue à ras du sol, œuvres filmées entourées de plusieurs vitres, effets de miroirs, de surimpression visuelle ou sonore… qui amplifient l’étrangeté de ces grandes et superbes statues chimériques, mi-humaines, mi-animales.
Une poésie d’Outre-tombe
Le film est scandé par la voix off et caverneuse d’une âme royale, contenue dans une statue étiquetée « numéro 26 » – et cette complainte d’outre-tombe, surréaliste et mystérieuse scande tout le film et lui octroie une infinie poésie (d’autant plus que peu comprennent le fon, l’idiome majoritaire du pays d’origine de ces pièces volées). Ce parti pris poétique (texte écrit par ….) donne une dimension extraordinaire à ce qui n’aurait pu qu’être un simple documentaire bien pensant sur les pillages culturels du colonialisme et les réparations progressives qui peu à peu se mettent en place. Elle s’inscrit dans une perspective animiste qui consiste à rendre aux trésors, autrefois sacrés, l’âme qui leur a été subtilisée et niée lors de la colonisation.
Mati Diop revendique cette subjectivité dans son documentaire, qui est tout sauf un film institutionnel : « j’ai voulu une voix off profonde, spectrale celle de la statue anthropomorphe du roi Ghezo. Cette voix parle au nom de toutes les œuvres : d’abord celles qui sont condamnés au noir des sous-sols du musée depuis plus d’un siècle et puis les 26 élus sur le point d’être rapatriés. Mais cette voix renferme aussi toute une communauté noire de femmes et d’hommes déportés pendant l’esclavage puis colonisé. Elle renferme l’âme des exilés ».
Splendide et douloureux, le texte a été spécialement écrit par le poète et écrivain haitien Makenzy Orcel, finaliste du prix Goncourt 2022
Des étudiants critiques face à leur histoire
La réalisatrice a elle même sollicité une réunion d’étudiants béninois, discutant de l’impact du retour de ces œuvre. Si certains se réjouissent et pensent que c’est un premier pas, beaucoup argumentent au contraire que cet acte est une insulte pour leur peuple. Une simple miette face à l’outrage.
Mais plus que les discours ce sont les images qui sont éloquentes…Ces statues venues d’un autre temps semblent aussi mal à l’aise dans le décor high-tech que le gouvernement béninois lui a concocté. Petit détail significatif : les précieuses et lourdes caisses contenant les fameux 26 trésors royaux, lorsqu’elles arrivent à bon port et sont débarquées de l’avion… sont transportées à dos d’homme par une escouade d’africains, tandis que deux européens attentifs, les mains dans les poches, donnent des consignes ! Autant de contradictions que le film pointe avec sa caméra.
Ce qui fera dire, plus tard, à un étudiant – critique – que ces œuvres n’ont pas plus leur place ici qu’ailleurs, à nouveau enfermées dans un musée… mais qu’elle devraient retourner d’où elles viennent, c’est à dire en liberté, dans la « vraie vie ».
L’origine vaudou des objets pose, en effet, la question de leur lieu d’exposition, qui n’est peut-être pas dans le musée où on les a installés d’office. Comme le fait remarquer le jeune homme, le vaudou reste très présent au Bénin, débordant le catholicisme imposé par les colons… Et il ajoute : « Qui viendra les voir ici ? Ceux qui n’ont pas à manger trois fois par jour ne vont pas au musée ». Et une étudiante d’ajouter que le musée est encore une institution occidentale, donc un effet du colonialisme. Et une troisième de réaliser… qu’ils débattent tous en français, et avec les armes théoriques, les doctrines, les savoirs importés par les pilleurs d’autrefois… ultime piège des voleurs de statues ?
Le mot en vogue dans les musées aujourd’hui est celui de « décolonisation des collections » et c’est dans cette perspective que le Président Macron a enfin amorcé, symboliquement, le processus de restitution.
L’historienne de l’art Bénédicte Savoie, auteur d’A qui appartient à la beauté (ed. la découverte 2024) constate des réticences, encore aujourd’hui : « en Allemagne la société est habitué à travailler sur un passé violent et qui ne passe pas celui du nazisme parce qu’il y a une culpabilité. En Grande-Bretagne le travail de recherche sur les anciennes colonies est en train de se faire. Le pays a quelques années d’avance sur la France qui reste très bloquée à propos de son passé colonialiste. »
Mati Diop a brillamment saisi le prétexte d’un reportage sur le rapatriement de 26 œuvres pour réaliser un film d’auteur à part entière, un film poétique et politique assurément. « La question de la restitution est indissociable de la jeunesse africaine. Ce n’est pas la restitution en tant que telle qui m’intéresse, mais tout ce qu’elle vient révéler d’aujourd’hui » Mati Diop.
« Digital Benin » ouvre un nouveau chapitre dans la saga des restitutions