Benghazi, capitale de l’Est de la Libye, a été éprouvée en 2024 par les pluies et les inondations. La catastrophe suivait les destructions de quartiers entiers de la ville au cours de la période de belligérance 2017-2018. La bonne nouvelle, la voici: la municipalité a fini par réagir au chaos des institutions. Les avertissements d’Oussama El Kizza, le patron de la planification urbaine de la ville sont entendus. Routes, adductions d’eau, et autres infrastructures sont confiées à des grandes entreprises turques.
Un article d’Olivier Vallée
Le martyr de la ville a recommencé lorsqu’en mai 2014 le général Khalifa Haftar a lancé l’opération Dignité ou Karama en arabe dont le but était d’éradiquer le terrorisme. En réalité Haftar visait à consolider son emprise sur la Libyan National Army (LNA) et à marginaliser les élites de l’Est. Entre 2014 et 2018, Haftar et ses troupes ont été les bouchers de la ville que la Free Libyan National Army avait voulu défendre en 2011 lors de la pseudo opération de l’ONU couvrant l’agression franco-britannique. Il s’est rendu l’auteur de ce que l’on nomme un « urbicide » et qui consiste à détruire le sens même de la vie sociale.
Destructions dans le centre-ville
La municipalité estimait en 2021 qu’il y avait eu au moins 6000 immeubles détruits. Cela a permis la confiscation de terrains et l’accumulation foncière du clan Haftar. Cela était la récompense de l’éviction de Ansar al-Sharia de Benghazi et de l’Est. Mais cette filiale d’Al Quaïda était surtout dans la ligne de mire des Etats-Unis qui l’accusaient de l’attaque de son consulat à Benghazi en 2012. Cette servilité vis-à-vis de Washington n’empêcha pas le maréchal Haftar de recevoir de l’aide militaire française, de faire venir les soldats russes et d’importer via l’Europe des drones et du matériel létal.
Haftar qui pensait rentrer en vainqueur à Benghazi en 2018, accompagné de ses combattants venus des tribus de l’Est, n’était pas le bienvenu et échappa de peu à l’attentat qui visait sa voiture. Il accusa Al Quaïda mais les citoyens de Benghazi n’étaient pas mécontents de cet avertissement au regard de la voracité des nouveaux maitres.
L’ordre moral généralisé
Aujourd’hui les habitants de la capitale de l’Est retrouvent un peu de place dans la gestion et l’espace de la cité. Mais la configuration politique et religieuse de Benghazi a changé. La milice salafiste armée des Madkhali, qui a aidé Haftar à rentrer dans la ville, s’est emparée des mosquées et des bâtiments religieux et impose aux femmes de Benghazi son ordre moral.
Mais la municiplaité n’a pas tardé à réagir. Les manœuvres sont des Soudanais, souvent les anciens mercenaires du Darfour qu’Haftar empruntait à Hemedti, son complice des Rapid Support Forces du Soudan. Mais les Haftar ont donné leur empreinte à cette reconstruction s’appuyant sur la position de Belgassim Haftar, Directeur Général du Libya Development and Reconstruction Fund. Ils sont associés aux signatures de contrats par dizaines de millions d’US $. Les pays européens qui collaboraient déjà avec le maréchal pour la chasse aux migrants veulent aussi leur part du pactole du BTP. Leurs diplomates et leurs VRP hantent les hôtels neufs où des Jordaniens font le service, souvenir de la formation qu’y a reçu un des fils Haftar.
Mais il semble que le scénario du pire n’est pas toujours celui qui se réalise. C’est de l’armée que pourrait venir l’arrêt du détournement de la reconstruction. L’armée de l’Est, qui pourrait être le creuset d’une nouvelle force nationale unitaire, est lassée du népotisme de l’octogénaire Haftar, en très mauvaise santé malgré l’acharnement de ses médecins militaires français. La nomination de son fils Saddam comme chef d’État-major de l’armée de terre des Libyan Arab Armed Forces (LAAF) et de son frère Khaled, commandant de la 106ème brigade n’a pas emporté l’assentiment du Chef d’État-major général (CEMG), Abderrazak Al-Nadouri, dont la base tribale compte fortement dans le nord-est de la Libye. Les arguments pour s’attaquer aux fils ne manquent pas. En particulier l’un a visité Israel pour solliciter de l’assistance militaire et d’espionnage tandis que l’autre a échappé à Interpol grâce à l’Italie. Le CEMG aura fort à faire car Meloni a remplacé les Russes pour la fourniture d’armes et l’ambassadeur de France à Tripoli s’entretient régulièrement avec Haftar. Il rend compte à l’Élysée directement. Cependant les Libyan Arab Armed Forces d’Haftar sont constituées de civils recrutés sur une base clanique ou religieuse et, malgré leur « arabité », de mercenaires africains. Le CEMG a été formé à l’école des services secrets de Kadhafi et semble toutefois bien parti pour reconstruire une armée nationale unitaire avec les autres officiers généraux de l’Ouest.