La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a réagi, dimanche 7 juillet, au sommet des Etats du Sahel (AES) en menaçant d’ériger des mesures barrières contre les citoyens des trois pays et en nommant le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, comme facilitateur pour ramener à la raison les dirigeants malien, nigérien et burkinabè qui ont porté, la veille, sur les fonts baptismaux la Confédération Alliance des Etats du Sahel.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Aveuglement et déni, ce sont les sentiments laissés, dimanche 7 juillet, par les présidents des 12 Etats de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à la fin du sommet d’Abuja, au Nigéria, devant constituer une réponse à la création de la Confédération Alliance des Etats du Sahel (AES), la veille. Sur fond de liesse populaire largement instrumentalisée, les trois chefs d’Etat putschistes sont en effet parvenus à « jeter les bases de la construction d’un espace de prospérité économique et sociale », a résumé le communiqué final de l’AES qui est encore revenu sur l’impact néfaste des sanctions économiques infligées par la Cedeao aux trois pays.
D’ailleurs, pour bien montrer leur détermination à ne plus faire machine arrière, Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tiani ont décidé de coordonner leur action diplomatique pour parler d’une seule voix, prendre des mesures assurant la libre circulation de leurs populations dans l’espace de la confédération, et mutualiser les moyens nécessaires à la concrétisation de projets structurants, en particulier dans les secteurs de l’agriculture et de la sécurité alimentaire ; de l’énergie et les mines ; des échanges commerciaux et de la transformation industrielle… ». Enfin les trois pays ont décidé de créer une Banque d’Investissement de l’Alliance et de mettre en place un Fonds de stabilisation.
Le facilitateur sénégalais discrédité
Au lendemain de ce sommet de l’AES, les réactions ont été dithyrambiques, surtout en Afrique francophone où la vieille utopie panafricaniste du ghanéen Kouamé N’krumah théorise encore les luttes contre les inégalités sociales qui sont, en réalité, la conséquence de la mauvaise gouvernance et de la monopolisation du pouvoir politique par des élites africaines dont le seul dessein est de s’enrichir de manière inconsidérée. Or, à l’évidence, on fait mine à la Cedeao de ne pas voir l’élan populaire qui accompagne la trajectoire des dirigeants des Etats du Sahel. Les dirigeants de cette organisation rêvent toujours de convaincre ces derniers à reprendre leur place au sein de la Cedeao, vu que « le délai auquel leurs velléités de départ doivent être entérinées, n’est pas encore arrivé », a de nouveau plaidé, dimanche, Bassirou Diomaye Faye.
Le président sénégalais n’est d’ailleurs pas le seul facilitateur. Il sera accompagné par le président togolais, Faure Gnassingbé, dans cette tâche. Aucun détail de la mission n’a pour le moment filtré. D’ailleurs, la Cedeao use de nouveau de menaces en faisant valoir une série de mesures de rétorsions contre les populations de l’AES en espérant qu’elles pousseront celles-ci à se révolter. Selon le président de la Commission, Omar Alieu Touray, le retrait des trois pays affectera en effet les conditions de voyage et d’immigration de leurs citoyens, à travers l’imposition de visas d’entrée, ainsi que l’arrêt ou la suspension de tous les projets et programmes dont la valeur est estimée à plus de 500 millions de dollars américains.
Les renoncements de la Présidence
La présidence de la Commission menace également de rompre la coopération avec les trois pays en matière de sécurité et de partage de renseignements alors qu’elle apparaît aux yeux des dirigeants malien, nigérien et burkinabè comme une menace existentielle. L’autre signe de ce déni est que Bassirou Diomaye Faye a estimé le même jour, à son arrivée à Dakar qu’endosser la mission de facilitation de la Cedeao rehausse la diplomatie sénégalaise. Car, dit-il, « le Sénégal est un grand pays. Pas par sa superficie, mais sur le plan des hommes qui ont incarné ses institutions. Particulièrement ceux qui ont animé sa diplomatie et qui nous ont forgé une respectabilité que nous devons préserver », a-t-il assuré.
En réaction, ses détracteurs l’ont accusé d’avoir jeté le masque. Il s’agit d’anciens soutiens qui avaient pris fait et cause pour le président sénégalais en projetant leurs rêves de souveraineté sur le duo Sonko-Faye, et sur leur discours radical au sujet du FCFA et du départ des forces militaires françaises du pays. A ces renoncements, il faut ajouter que dans la mémoire collective, la Cedeao a toujours été considérée comme une arrière-cour de la France et des Occidentaux, et moins comme un espace d’intégration des économies ouest-africaines. Au surplus, la Cedeao a montré ses faiblesses en promettant l’enfer aux dirigeants des trois pays du Sahel avant de renoncer aux sanctions économiques qui ont laissé dans l’opinion africaine, l’image d’un syndicat de dirigeants se serrant les coudes pour rester au pouvoir. C’est donc une organisation impuissante qui s’est donné un joker ayant perdu une partie de son crédit, en l’espace de trois mois de présidence.