La victoire inédite, 33,1%, du Rassemblement national au premier tour des élections législatives anticipées en France inquiète en Afrique où l’on se sent malgré tout totalement impuissant.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Il ne faut pas laisser le Rassemblement national prendre le pouvoir en France, avait alerté, quelques jours seulement avant les élections législatives de dimanche, l’ancienne Première ministre sénégalaise, Aminata Touré qui en appelait alors, dans une tribune publiée chez Jeune Afrique, à la voix de la diaspora, car chacune d’elle compte, avait-elle insisté. Alors que les sondages prévoyaient une confirmation des résultats des européennes, cette femme politique sénégalaise avait prévenu que le RN a juste « changé de garde-robe et de style mais pas d’idéologie ». Or bien malheureusement, c’est le pire des scénarii qu’elle redoutait qui est en train de s’écrire puisque le Rassemblement national a bel et bien survolé ces législatives avec 33,1% des voix contre 27,99% pour le Nouveau Front populaire et seulement 20,4% pour le camp présidentiel qui risque de ne pas survivre à cette dissolution macronienne.
Au-delà des chiffres, ces résultats constituent un vote d’adhésion réaffirmé par la majorité des français, puisque, d’une part, Les Républicains et les Divers droite, Reconquête et Souverainistes compris, font un peu plus de 10% des suffrages et que, d’autre part, toute la classe politique, à quelques exceptions près, est d’accord avec le Rassemblement national pour sauvegarder les valeurs chrétiennes de la France pour mieux rejeter l’Islam, et pour fermer les vannes de l’immigration. Alors même que la carte électorale de ces législatives traduit le ressenti des petites villes face à la situation économique désastreuse de millions de français, la guerre israélienne a été largement instrumentalisée par les médias contre les partis de gauche parce qu’on assiste à une mobilisation de la France raciste. Et Jean-Luc Mélenchon, le patron des Insoumis le paye parce qu’il est accusé de vouloir « désarmer » la police, de diluer la France sous des vagues successives d’immigrés et de préparer une révolution qui mettrait les français dehors.
Deux types de Français en France
Les médias africains connaissent d’autant plus clairement cette ligne de fracture française qu’ils commentent peu les résultats de ce premier tour qui placent Jordan Bardella en position de devenir le prochain Premier ministre d’Emmanuel Macron. En revanche, les élites africaines suivent ces événements avec beaucoup d’inquiétude. La plupart ont en effet fait leurs études supérieures en France, se soignent en Hexagone, y masquent leurs avoirs, souvent les plus mal acquis, ou y font étudier leurs progénitures. Dans un contexte où le président du Rassemblement national a annoncé son intention d’interdire aux binationaux l’accès à des emplois sensibles, leurs craintes sur la montée des extrêmes en Europe où les partis d’extrême-droite se confirment ainsi clairement. D’autant que l’extrême droite avait d’ailleurs globalement dominé les élections européennes qui viennent de se dérouler.
A Dakar, Alioune Tine, fondateur d’AfrikaJom Center ne manque pas d’occasion pour s’indigner des propos de Jordan Bardella « surtout par rapport aux Français qui ont une double nationalité et qui ne pourraient plus exercer certaines fonctions », regrette-t-il. Pour lui, « c’est ahurissant qu’on puisse considérer que maintenant, il y a deux types de Français dans la République : les Français de France, de souche. Et les autres. C’est toujours et encore une pratique raciste », dénonce-t-il.
Pour le Sénégalais qui ne veut pas qu’une telle politique voit le jour, il faut que « les leaders africains prennent leurs responsabilités et demandent à ce que la diaspora africaine ne donne pas une seule voix à l’extrême droite. C’est aussi ce que dit Aminata Touré recommande en rappelant que « la possible arrivée au pouvoir du Rassemblement national en France n’est plus une question franco-française » mais « une question civilisationnelle qui interpelle celles et ceux qui, à travers le monde, continuent à croire à l’amitié et à la solidarité entre les peuples et se battent pour le respect des droits des immigrés, en particulier africains, lesquels polarisent faussement le débat politique dans l’Hexagone », affirme-t-elle dans cette tribune.
Seulement 7 millions d’immigrés en France
Comme tous les jeunes sénégalais ou africains qui rêvent de poursuivre leurs études en France, Ousmane Diangar suit avec inquiétude les résultats du Rassemblement national et se montre préoccupé parce qu’il a une famille en France « qui nous aide ici », dit-il. Or, en raison de la langue, Ousmane doit fatalement se rendre en France ou au Canada s’il veut faire un doctorat pour la fin de son cursus en nutrition et diététique parce qu’il n’y a que le master au Sénégal. La montée du discours xénophobe instillé en particulier par Eric Zemmour qui ne cesse de faire planer la menace d’un « grand remplacement », une thèse raciste qui fait de la stigmatisation systématique des immigrés, sert de fonds de commerce à l’extrême droite.
Les statistiques officielles de l’Insee discréditent pourtant la paranoïa ambiante. En effet, seulement 7 millions d’immigrés vivaient en France en 2022, soit 10,3 % des 67,97 millions d’habitants. Parmi eux, 35 % – soit 2,5 millions – ont acquis la nationalité française, de sorte que la population étrangère résidant en France n’est plus que de 5,3 millions d’immigrés dont 48,2 % sont nés en Afrique. Le péril noir qui nourrit la rhétorique de l’extrême droite n’est donc que l’expression d’un racisme anti-noir et anti-arable des politiques français.
Les ressortissants français devront donc s’attendre au retour du bâton dans les pays africains où Paris se plaignait déjà de la montée du sentiment anti-français. Ceux vivant principalement en Côte d’Ivoire semblent bien comprendre ce dangereux glissement puisque pour ces élections législatives, le Nouveau Front populaire est en tête avec 41,23% des voix et 16,86% pour le Rassemblement national qui arrive tout de même en deuxième position devant les autres partis politiques. Les dirigeants africains qui ont toujours eu peur de se mêler de la politique de la France parce que c’est quand même la puissance colonisatrice vont-ils continuer à baisser la tête et ne rien dire ? Il semble que ce terrible tremblement de terre qui se déroule en France aura des répercussions qu’on ne peut pour l’heure totalement appréhender.