Emmanuel Macron semble bien isolé depuis qu’il a décidé dans la solitude du pouvoir et à la surprise générale de dissoudre l’Assemblée Nationale, au vu des résultats des élections européennes où les partis d’extrême droite frôlaient la barre des 40% des électeurs. Le premier tour des législatives françaises, le 30 juin, devrait confirmer que le coup de poker décidé par le Président français marque une déconnection du Président français avec les aspirations des citoyens qui devraient placer largement en tête le Rassemblement National (extrème droite) de Marine le Pen.
Une chronique de Lucile Schmid et élue locale socialiste puis écologiste en Ile-de-France. Membre de longue date de la rédaction de la revue Esprit, elle est l’auteure de plusieurs essais portant sur les élites publiques, les enjeux écologiques et les relations franco-algériennes.
Le 30 juin et le 7 juillet, la France vote pour élire ses 577 députés. En choisissant de dissoudre l’Assemblée nationale après des élections européennes où son camp avait été largement distancé par le Rassemblement national (RN) – 31,4 % pour le RN et 14,6 % pour la majorité présidentielle-, Emmanuel Macron a tout chamboulé. Il a choisi de lier l’Europe et la vie politique nationale. Du jamais vu et au pire moment. Faire de l’élection européenne un marqueur dans la foulée de résultats très favorables au RN, c’est donner au parti d’extrême droite, dont l’ascension ne cesse de s’accélérer et de se confirmer, une occasion en or.
Derrière cette décision se dessine un pari fou. Si le vote aux européennes était un vote de défoulement et de colère face à l’inflation et la perte de pouvoir d’achat, à la peur de la guerre en Ukraine, un vote national, solennel, ne pourrait-il pas faire bouger les lignes et les votes ? Une dissolution pour faire revenir les Français à la raison et aux responsabilités en quelque sorte. C’est la ligne du Président et du Premier ministre Gabriel Attal qui mène la campagne. « Choisissez-nous car nous sommes les seuls capables de gouverner », en renvoyant dos à dos « les deux extrêmes » le Nouveau Front Populaire (NFP) union de l’ensemble des forces de gauche, et le RN. Un pari fou pour revenir à la raison. C’est tout le paradoxe.
Le pari a trois limites.
La première limite, c’est d’avoir voulu ignorer que les élections européennes ne pouvaient absolument pas être transposées à l’échelle des élections législatives. Il y a d’abord le mode de scrutin : aux européennes un seul tour et la proportionnelle avec un scrutin de liste à l’échelle nationale, aux législatives deux tours et un vote pour un député dans une circonscription c’est-à-dire le territoire dans lequel il est élu. Par leur étendue, leur peuplement, leur caractère rural, périurbain, urbain, ces circonscriptions dessinent un paysage électoral complexe avec de vraies incertitudes sur les résultats à venir. En fonction de la participation qui devrait être beaucoup plus élevée que d’habitude, compte tenu des enjeux (plus 12 à 15 points) le maintien de trois candidats au second tour est possible. Or le Front républicain, c’est-à-dire le fait de se désister en faveur du candidat le mieux placé pour battre le RN, a du plomb dans l’aile. Comme d’ailleurs les reports de voix entre la gauche et le camp Macron.
La deuxième limite tient justement aux enseignements, projetés territoire par territoire, des élections européennes. Les circonscriptions favorables au RN seraient autour de 290, celles favorables à la gauche un peu moins de 200. La France rurale et périphérique est très majoritairement RN, celle des métropoles vote à gauche et pour Ensemble, le camp présidentiel. C’est dire ce qu’il reste comme soutien à Emmanuel Macron. En 2022, aux dernières élections législatives, celui-ci s’était déjà retrouvé en majorité relative avec 245 députés, tandis que le RN en avait 89. Ces résultats pourraient s’inverser, le RN se rapprochant de la majorité absolue, le camp présidentiel ayant moins de 100 élus.
Le sentiment d’abandon
La troisième limite est celle de la sous-estimation par Emmanuel Macron du rejet qu’il suscite. Depuis le mouvement des Gilets jaunes de novembre 2018, et malgré sa réélection en mai 2022, le sentiment de décalage entre la société française et le Président s’est enkysté. Les déserts médicaux, la perte des services publics et des commerces de proximité, le déclassement et l’enclavement territorial, aucune de ces questions béantes n’a reçu de réponse concrète. La réforme des retraites rejetée par plus des trois quarts des Français et adoptée au forceps est aussi passée par là. C’est un refus de la personne, d’une méthode de présider et de gouverner verticale qui a accentué encore le malaise traditionnel entre les élites et le peuple, et l’accumulation des peurs et des colères. Le RN peut surfer sur ce sentiment d’abandon.
Dimanche, les résultats du premier tour montreront où se situe la dynamique. A gauche où le Nouveau Front populaire a réussi une union dont les contradictions sont visibles, au RN rattrapé ces derniers jours par les paroles racistes de certains de ces candidats et le flou de son programme, ou contre toute attente du côté du camp présidentiel à la faveur d’un ultime sursaut ?