Pour son premier voyage officiel en Europe, le général Brice Oligui Nguema, un des rares putschistes jugé fréquentable à Paris, a choisi l’ex puissance coloniale pour un déplacement de cinq jours. La surprise, la voici: le chef de la junte gabonaise a emmené dans ses bagages Pierre Duro, un français chargé d’une mission d’évaluation des grands contrats du gouvernement gabonais avec ses partenaires étrangers. Or ce conseiller de l’ombre, apparemment fort influent auprès de son patron, s’en prend systématiquement à Libreville aux intérêts des groupes français. Ce qui pourrait un peu gâter l’entretien que doit avoir le tombeur d’Ali Bongo avec Emmanuel Macron pour sceller ses retrouvailles avec la France!
Le climat des affaires est devenu malsain à Libreville. Des hommes d’affaires sont arrêtés, des passeports retenus par le régime gabonais et des redressements importants imposés aux entreprises étrangères. À la manoeuvre dans cette remise en cause des situations acquises et des appels d’offre internationaux, se trouve le français Pierre Duro, un ancien ingénieur d’Elf arrivé au Gabon dans les années 1970 qui avait été nommé autrefois par Ali Bongo chef de la taskforce gabonaise sur le règlement de la dette (1).
Du moins jusque sa mission soit brutalement remise en cause le 10 octobre 2022. » Pierre Duro n’était pas une lumière, il a du partir suite à des désaccords avec le fils d’Ali Bongo, Noureddin Bongo, qui avait la prétention de piloter les appels d’offre du Gabon », se souvient un homme d’affaires.
Les groupes français dans le viseur
Or le voici « remis en selle » par le général Oligui. Le nouveau patron du Gabon, dès son arrivée au pouvoir, a chargé ce vieux cheval de retour de relancer la taskforce sur la dette publique. Ce que ce dernier a fait avec zèle en remettant notamment en cause les appels d’offre passés par le régime gabonais avec les grands groupes français . « Malgré les soupçons de corruption et les doutes sur son expertise ayant entaché sa précédente mission en 2022, Monsieur Duro a été remis à la tête de la taskforce sur les dettes gabonaises par le président de la transition. Une décision controversée pour cet homme de 74 ans, aux relations sulfureuses avec le pouvoir Bongo », s’interroge Gabon Review
Or en voyage officiel depuis ce mercredi 29 mai à Paris, le nouveau maitre du Gabon n’a pas hésité à emmener dans ses bagages cet énigmatique conseiller de l’ombre qui provoque une grande hostilité au sein de la communauté française au Gabon. Nombreux sont en effet les groupes, traditionnellement installés à Libreville, dont Pierre Duro prend apparemment plaisir à éplucher et à redresser les comptes.
Qu’il s’agisse de la SOBEA, filiale de Vinci, d’Eiffage qui a vu ses comptes gabonais saisis pour huit millions d’euros sans notification préalable, de Total qui connait un redressement fiscal d’environ cent millions d’euros ou de Perenco, dont les dirigeants ont été convoqués suite à l’explosion sur une plateforme, en dehors de tout cadre juridique. Par ailleurs, la SAG (société autoroutière du Gabon) a cherché des poux dans la tète de sous traitants français.
Est-ce que, demain, le général Oligui et son fidèle conseiller Pierre Duro pourraient remettre en cause l’actionnariat de Comilog, le premier groupe mondial de manganèse, dont le capital est détenu à 63% par le groupe minier français Eramet et 28% par la République gabonaise? Certains à Libreville s’interrogent.
Calculs politiques
Le nouveau pouvoir gabonais cherche-t-il par cette mise en cause des groupes internationaux, répondre aux pressions d’une opinion publique traversée par des courants souverainiste et anti colonial? L’hypothèse est plausible. Le général Oligui pourrait aussi, par une redistribution des rentes minières, nourrir des réseaux affairistes qui le soutiennent.
Autant de questions posées depuis que le chef de la junte gabonaise a fait de ce passionné de rugby sans envergure son bras armé financier.