Le développement du tourisme sur le Sahara occidental, un territoire contesté par le Front Polisario, reste un pari gagnant de la part du Maroc qui n’est pas entravé par les timides incursions des indépendantistes sahraouis de plus en plus affaiblis
Ian Hamel, de retour du Sahara occidental
Depuis plus d’une décennie, Rabat déploie des moyens considérables pour que Dakhla, à 1 700 kilomètres de la capitale, se transforme en vitrine de la réussite du Maroc au Sahara occidental.
Ce n’est plus seulement une lagune poissonneuse située sur le tropique du Cancer. Dakhla est devenue un port d’importance desservi par CMA CGM, le géant francais du transport maritime dirigé par l’ami d’Emanuel Macron Rodolphe Saade. Paradis des amateurs de kitesurf, de windsurf, et aujourd’hui de wing foil, la grande ville du sud du Sahara occidental attire des vacanciers, notamment français, par dizaines de milliers. Alors que le statut du territoire est toujours contesté.
Combien de passagers du vol Royal Air Maroc se doutent-ils qu’à leur arrivée à l’aéroport de Dakhla, ils recevront sur leurs passeports un tampon sans indication du pays ? Juste le nom de la ville. La plupart d’entre eux ignorent sans doute qu’ils viennent d’atterrir sur un territoire non autonome selon l’ONU. Une étendue vaste comme la moitié de la France, mais qui n’a toujours pas obtenu de statut sur le plan juridique depuis le départ des Espagnols, les anciens colonisateurs, en… 1976. Mais dès leur descente d’avion, les touristes apprennent à ne plus dire « Sahara occidental », mais « Sahara marocain ». L’administration, la police, l’armée, les drapeaux du royaume sont visibles partout. Les services secrets, quoi que plus discrets, occupent aussi le terrain.
Soubresauts sécuritaires
Dès la sortie de Dakhla, située sur une péninsule sablonneuse d’une quarantaine de kilomètres, votre taxi est arrêté par un contrôle rapide. A l’entrée du port, vous devrez montré vos papiers d’identité. La région est calme. Durant notre séjour, d’une dizaine de jours, nous n’entendrons pas le moindre coup de feu.
Toutefois, le cessez-le-feu signé en 1991 entre le Maroc et Front Polisario, mouvement politique et armé, appuyé par l’Algérie, qui réclame l’indépendance du Sahara occidental, a été rompu en 2020. En octobre de cette année, le Front Polisario, soutenu par Alger, bloque brutalement le trafic de marchandises aux alentours du poste-frontière avec la Mauritanie. L’armée marocaine rétablit la circulation. Mais les indépendantistes vont mener quelques timides opérations militaires, allant jusqu’à lancer des roquettes en janvier 2021 sur la petite ville de Guerguerat, la localité frontalière.
Le paradis des kitesurfeurs
Depuis, la zone est sécurisée, et les investissements pleuvent sur Guergueriat et la cité voisine de Bir Gandouz : raccordement au réseau électrique, alimentation en eau potable, station de dessalement d’eau de mer, création de zones de distribution et de commerce, aménagement de l’éclairage public. Pour le directeur régional du ministère de l’Industrie, du Commerce, et de l’Économie verte, il s’agit de « renforcer la capacité d’exportation et d’importation du Royaume marocain avec les pays africains ». Ce que Maghreb Arabe Presse (MAP), l’agence de presse marocaine, traduit par : « Dakhla et sa région se positionnent en tant que hub stratégique d’échange entre le Maroc et sa profondeur africaine ».
Les investissements se chiffrent en centaine de millions de dirhams, sinon en milliards (un dirham = 0,093 euro). A Dakhla (110 000 habitants), de nouveaux quartiers, de nouveaux bâtiments administratifs, de nouveaux hôtels, poussent comme des champignons, en prenant soin de respecter une architecture traditionnelle. Pas de barres d’immeubles. Ce n’est plus une destination réservée à des sportifs argentés, puisque des agences plus populaires, comme Carrefour voyages, proposent cette lagune battue par les vents tout au long de l’année. Dakhla attire la communauté des windsurfeurs, des kitesurfeurs, ainsi que des adeptes du wing foil, la dernière nouveauté à la mode, la planche étant dotée d’une aile porteuse qui permet d’être en lévitation sur l’eau. La presqu’île attirait 5 000 visiteurs il y a une dizaine d’années. Elle devrait en recevoir dix fois plus en 2024, principalement des Marocains et des Français. En revanche, Laâyoune, la ville principale du Sahara occidental (220 000 habitants), beaucoup plus au nord, qui n’est pas au bord de l’Atlantique, n’est pas vraiment touristique.
La « marocanité » du Sahara consolidée
Le Maroc est bien l’unique pays, administrant un territoire contesté, à miser sur le tourisme. Malgré les bulletins publiés régulièrement par le Front Polisario, qui se déclare « en état de guerre de légitime défense ». Le 11 février 2022, les séparatistes annonçaient « avoir tué douze militaires marocains lors de différentes attaques », ajoutant qu’« en plus des pertes humaines, l’ennemi a subi des pertes matérielles ». Plus récemment, le 15 décembre 2023, le Front affirmait avoir lancé quatre projectiles sur la ville d’Aousserd, située près de la frontière avec la Mauritanie. Informations chaque fois non confirmées du côté marocain. En revanche, des médias du royaume chérifien font parfois état de frappes de drones de l’armée marocaine contre des « éléments armés du Polisario » (1).
Ni l’Inde ni le Pakistan, qui se partagent le Cachemire depuis trois quarts de siècles (le référendum d’autodétermination prévu par l’ONU en 1948 n’a toujours pas eu lieu), n’ont envisagé ce mode de développement. Il en est de même pour les entités non reconnues par la communauté internationale, comme la République turque de Chypre du Nord, la Transnistrie, l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie, ou encore le Somaliland. Jusqu’à présent, le Maroc a clairement gagné son pari. Comme le souligne Oxford Business Group, en une décennie le PIB régional a progressé de 12,9 %, le tourisme, de 21,4 %. « La région de Dakhla est l’une des régions économiques les plus prometteuses en Afrique pour les entreprises qui cherchent à renforcer leurs liens commerciaux entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest », souligne le centre de recherche britannique (2).
Le plan d’autonomie de Mohammed VI
Pour Rabat, il s’agit à la fois de convaincre les Sahraouis de l’intérêt du plan d’autonomie du Sahara occidental, présenté en 2007 par le roi Mohammed VI (et de rejeter définitivement les sirènes de l’indépendance prônées par le Front Polisario). Et de consolider la “marocanité“ de ce territoire au niveau international. Tous les voyagistes, notamment tricolores, qui mettent Dakhla dans leurs catalogues, reconnaissent en creux la souveraineté marocaine sur ce territoire. En revanche, il est difficile de mesurer ce que les activités touristiques rapportent aux Sahraouis. On ne les croise que rarement dans les hôtels, les restaurants, chez les chauffeurs de taxi. Les emplois sont généralement occupés par des Marocains (parfois nés au Sahara) et aussi par des Africains. Nous avons bien été conviés dans un établissement sahraoui, mais il était tenu par un Mauritanien…
(*) « Sahara occidental : le Front Polisario affirme avoir tué 12 soldats marocains », tv5monde.com, 11 février 2022.
(2) Iba Chaker, « Investissements : l’attractivité économique et touristique de Dakhla se confirme », L’Opinion, 23 décembre 2021.