Avec l’« opération Al-Aqsa Flood », le 7 octobre, et le début des hostilités au Liban Sud le lendemain, les Frères musulmans libanais, réconciliés désormais avec le Hezbollah et l’Iran, participent aux combats via leur branche militaire des « Forces Fajr ». Ils ont subi des pertes non négligeables face à l’armée israélienne
Contrairement à la Syrie où le régime du clan Assad, père et fils, a massacré toutes les rébellions sunnites, les Frères musulmans ont réussi à se fondre dans le paysage politique libanais démocratique. À quelques centaines de kilomètres de Damas, la Jamaa Islamiya (« le Groupe Islamique ») dispose ainsi de nombreux relais à Tripoli, seconde ville du Liban et capitale du sunnisme. Mais c’est à Beyrouth où les « Frères » possèdent de superbes locaux, qu’ils ont créé une radio et un journal qui leur donnent une vraie présence médiatique.
Au sein ce ce mouvement frériste, coexistent une force armée, les « Fajr » (1), et des représentants politiques, comme leur seul élu au Parlement, Imad al-Hout, un médecin formé en France devenu le député du Beyrouth ouest sunnite(2). Un peu à la façon du Hezbollah, un pied au Parlement et un autre dans une milice armée redoutable. Dans les années 1990, la Jamaa Islamiya refusait de participer au Parlement libanais qu’il considérait comme non islamique. Souvent le Frère Musulman varie!
Ainsi durant la guerre civile syrienne, les Frères Musulmans libanais soutenaient l’opposition armée de leurs Frères au régime d’Assad. Cette page est désormais tournée. Les liens sont rétablis avec Damas au point que le Groupe islamique détourne son regard de la répression sauvage exercée par le régime syrien contre les membres de leur confrérie en Syrie.
On les découvre collaborant désormais avec le Hezbollah chiite, pour qui ils constituent une caution sunnite inespérée. Sur fond d’un soutien financier de l’Iran chiite qu’ils ont toujours ménagé, de personnalités koweitiennes et d’ONG islamiques. Ce trésor de guerre qui leur permet une influence non négligeable dans un Liban miné par la crise économique.
En 2022, un nouveau Conseil de la Choura du Groupe islamique marque ce virage pro iranien. Cheikh Muhammad Taqoush est élu secrétaire général du groupe. Issu de la nouvelle génération du Groupe islamique, ce notable pieux est connu pour son soutien au mouvement Hamas, membre de la confrérie des « Frérots », et à la cause palestinienne. Il est parvenu à jeter des ponts entre le Groupe islamique et le Hezbollah. La réconciliation est désormais totale, ils combattent au coude à coude au Liban Sud.
Une force militaire limitée
Cependant, le Groupe islamique bénéficie d’un vrai atout par rapport à n’importe quel politique sunnite libanais. C’est que son influence s’étend sur toutes les terres libanaises du nord au sud, et jusqu’à la Bekaa. Les Frères possèdent en effet de nombreuses institutions éducatives et médicales qui sont également réparties sur tout le territoire.
« Forces Fajr », la branche militaire du Groupe islamique, créée puis formée à Sidon, au sud du Liban, lors de l’invasion israélienne en 1982, ne pèse guère sur le plan militaire. Un petit groupe de jeunes du Groupe islamique participait à la résistance à l’armée israélienne. Leur chef était Jamal Habbal, qui sera liquidé avec deux de ses camarades en 1983 par des soldats israéliens. On n’avait plus entendu parler de ces forces au Liban jusqu’en 2006, date à laquelle elles sont apparues soudain aux côtés du Hezbollah.
Le « Groupe islamique » a maintenu une force militaire « symbolique » dans le sud du Liban. Un autre groupe armé existe dans la région d’Arqoub, à la frontière israélienne, d’où sont lancées des missiles. Sept des responsables de la Jamaa Islamiya ont été récemment tués par Israël, ce qui conforte une posture de résistants face au sionisme qui reste populaire dans la communauté sunnite et dans l’ensemble de la population libanaise.
Les Sunnites en panne de leadership
Dans le meilleur des cas, les forces du Fajr ne dépassent pas quelques dizaines de combattants du nord au sud du Liban. Ce qui convient parfaitement au Hezbollah qui cherche toujours à conserver un rapport de force dominant avec des groupuscules influents qu’il contrôle, comme le groupe communiste libanais ou le « groupement nationaliste syrien », tous deux composés essentiellement de chrétiens, la plupart orthodoxes.
Ces « Frères » libanais, militairement limités, sont pourtant capables de provoquer des mobilisations importantes de la rue libanaise contre la politique israélienne. En l’absence d’un réel leadership sunnite au Liban depuis le retrait de Saad Hariri de la vie politique, le groupe islamique a eu un boulevard devant lui q’il a occupé efficacement.
Les relations entre les Frères musulmans et l’Iran sont plus anciennes qu’on ne le pense généralement. Le groupe était l’un des plus éminents partisans de la Révolution islamique en Iran en 1979. Le soutien de Téhéran au magazine « Al-Aman », le porte-parole des Frères libanais, était financièrement important. Notons que le Guide suprême de la Révolution islamique, l’Ayatollah Khamenei, est l’un des plus grands admirateurs de la pensée de Sayedd Qotb, le grand penseur des Frères égyptiens pendu pas Nasser. C’est lui qui a personnellement supervisé la traduction de ses écrits en langue persane. Depuis, ses écrits sont suivis par tous les groupes islamiques extrémistes et armés, en particulier Al-Qaïda.
Au delà du clivage ancestral entre chiites et sunnites, les Iraniens et beaucoup de Frères Musulmans partagent les mêmes valeurs coraniques réactionnaires, une haine contre les juifs et une vision géo politique pour la région. Faut-il pour autant considérer les Frères comme des terroristes? Sans doute pas, car ce serait oublier leur capacité d’adaptation que certains présentent comme une forme de duplicité et d’opportunisme. Ce qui n’est pas totalement faux!
(1) Le territoire libanais a également été utilisé par les Brigades Izz al-Din al-Qassam, la branche militaire du Hamas, pour cibler Israël avec plusieurs missiles, avec la couverture et le soutien du Hezbollah.
(2) Beaucoup de Frères Musulmans ont fait leurs études en France où ils ont contribué à créer l’Unions des Organisations Islamiques de France (UOIF)