« L’Histoire de Jérusalem », une BD signée Vincent Lemire et Christophe Gaultier, se positionne, malgré de louables efforts de neutralité, en faveur la cause palestinienne. Le sionisme, voici le seul ver qui serait dans le fruit abimé d’une des plus belles régions du monde. Le récit se concentre sur la ville elle-même, ses divisions et son histoire, sans tenir compte du contexte international et des retournements régionaux qui expliquent eux aussi l’impasse totale actuelle.
Un article de Mateo Gomez
Comment comprendre la dramatique actualité sans l’appréhender comme l’aboutissement d’un récit long de 4000 ans? Un peu frileuse, la BD hésite à se plonger au cœur de la tourmente et de nommer les plaies de la ville sacrifiée.
La BD, qui démêle avec talent les fils d’une histoire de 40000 ans, rappelle comment la séparation de la ville en deux commence bien avant la naissance d’Israël, dès les débuts du sionisme en Palestine et avec les violences qu’elle déclenche. Peu à peu, les populations de la ville, mixtes, commencent à subir la loi de la ségrégation.
La BD présente les Palestiniens comme des éternelles victimes, qui n’auraient eu recours aux armes que face aux violences sionistes. Ce qui n’empêchera pas la création d’un État hébreu. Constamment ballotées, les populations arabes ne peuvent que subir ce que leur imposenr Israël ou, pendant une brève période, la Jordanie. Les Palestiniens semblent dénués de volonté propre et ne pouvaient que se faire entraîner par des forces les dépassant. Presque inévitablement, la ville se divise en est et ouest, au détriment des arabes.
Une ville divisée
Les similitudes entre la ville sainte divisée et Berlin divisée sont frappantes. Compétition entre les deux côtés, inégalités, murs… Lemire en dresse un portrait édifiant et original pour celui qui n’avait jamais pensé à faire le parallèle. Il excelle également dans son récit des divisions continues de la municipalité même après 1967, quand l’armée israélienne en occupe la totalité.
L’Ouest de la ville se développe et s’enrichit, à mesure qu’Israël en fait sa capitale, alors que l’Est s’appauvrit et se voit entravé dans son développement, et que la population se ségrègue encore plus. Il est donc de surcroît plus dommage encore que l’auteur ne pose pas le mot “apartheid” sur cet étau qui se ressere sur Jérusalem Est. Car à nouveau, cette concentration spécifique sur la ville de Jérusalem distrait du contexte plus large qui pourrait, pourtant, apporter des éléments explicatifs à la situation actuelle de Jérusalem.
On n’apprend jamais, par exemple, pourquoi Jérusalem Est finit entre les mains jordaniennes, ou pourquoi les israéliens ont le droit de traverser le mur de séparation, mais pas les palestiniens.
Un manque de contextualisation
Colonisation et apartheid, les deux mots sont les grands absents de la BD. Pourtant, c’est bien ce que décrit ce récit: Inégalités économiques et juridiques, destruction de quartiers… En réalité, l’auteur semble se concentrer plus sur les divisions économiques qui séparent Jérusalem Ouest de Jérusalem Est, pointant du doigt la répartition du budget municipal et la densité de population. Cette inégalité au niveau local est certes importante à souligner, mais ne raconte malheureusement pas toute l’histoire.
Et c’est bien là le point principal où la bande dessinée échoue. Ces 4000 ans d’Histoire n’éclairent finalement pas entièrement la situation actuelle de la ville, qui dépend également de facteurs extérieurs, de décisions internationales et de mouvements nationaux ou régionaux. La souffrance palestinienne est donc en quelque sorte décontextualisée. Sans une plus fine connaissance du conflit israélo-palestinien, les nuances peuvent facilement échapper au lecteur. Et dans un format vulgarisant comme la bande dessinée, c’est fort dommage.
“L’Histoire de Jérusalem” par Vincent Lemire et Christophe Gaultier est un effort admirable et une œuvre bien rodée. Faire entrer 4000 ans dans une bande dessinée n’est pas chose aisée, et pourtant l’exercice est bien réussi. C’est une lecture recommandée à tout lecteur qui s’intéresse de près ou de loin au conflit israélo-palestinien, car bien plus digestible que les traités académiques. Les prises de position sont assidues, claires et réfléchies, et aident à comprendre la ville sainte d’aujourd’hui. Mais forcément, une telle ambition est dure à réaliser entièrement. Le scénariste est bien obligé de faire des sacrifices de plus en plus apparents à mesure que la chronologie se rapproche de l’actualité.
Des éléments contextuels essentiels passent à la trappe en faveur des passages plus descriptifs de l’état de la ville elle-même au cours des XXe et XXIe siècles, et affaiblissent une conclusion qui aurait peut-être dû être plus explicative de l’apocalypse actuelle.
L’Histoire ne sert-elle pas principalement à expliquer le présent?