L’élection présidentielle dont le premier tour se tient ce dimanche ne referme pas seulement les douze années de l’ère Macky Sall. Elle ouvre un nouveau chapitre pour la vie politique du Sénégal. Quel que soit celui des 17 candidats encore en lice qui l’emportera.
Par Francis Sahel
Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, le président sortant Macky Sall ne devrait pas pouvoir remettre les clefs du palais présidentiel à son successeur. Entre le premier tour de la présidentielle qui se tient ce dimanche et le 2 avril 2024, date de la fin du mandat du président Macky Sall, il ne reste que moins de deux semaines. Tout indique que ce délai ne sera pas suffisant pour permettre la certification des résultats du premier tour et l’organisation d’un second tour, si nécessaire. Macky Sall devrait en vouloir à lui-même de pas être en mesure de procéder à la cérémonie de passation avec son successeur. A force de jouer la montre et de mobiliser des subterfuges pour rester au pouvoir, il s’est retrouvé dans cette situation peu enviable et nuisible à son héritage à la tête du Sénégal. En prévision de ce cette éventualité très forte, le Conseil constitutionnel avait estimé dans son arrêt du 6 mars 2024 qu’il appartiendra au président de l’Assemblée nationale Amadou Mame Diop d’assurer l’intérim du président de la république, si le processus électoral devait se poursuivre bien au-delà du 2 avril 2024.
L’élection de toutes les surprises
Et ce n’est pas le seul fait nouveau de cette présidentielle. En effet, c’est aussi la première dans l’histoire politique du pays que le président sortant organise une élection à laquelle il ne se présente pas. Après son élection, Abdoulaye avait reçu en 2000 les consignes du pouvoir des mains d’Abdou Diouf qu’il venait de battre dans les urnes ; en 2012 Abdoulaye Wade avait transmis le pouvoir à Macky Sall qui l’avait emporté face à lui. Autre nouveauté de cette présidentielle, c’est aussi son caractère ouvert et même incertain. En dépit de la dynamique de changement favorable en favorable à Bassirou Diomaye Face, candidat soutenu par Ousmane Sonko et le PASTEF, et de la puissante machine électorale derrière Amadou Ba, le dauphin désigné du président Macky Sall, rien ne permet de dire à l’avance qui sera le vainqueur de cette élection. Si Diomaye Faye et Amadou Ba font figures de favoris, d’autres candidats tels que les anciens Premiers ministres Idrissa Seck et Mouhamad Boun Abdallah Dioune pourraient jouer les trouble-fête. L’ancien Maire de Dakar Khalifa Sall tout comme Aly Ngouille Ndiaye et Daouda Ndiaye, anciens ministres de Macky Sall, ne se sont pas résignés à leur défaite. Il est donc hasardeux de faire un pronostic crédible avant le dépouillement du vote de plus de 7 millions d’électeurs du Sénégal et de la diaspora. La mobilisation et l’engouement manifestés par les électeurs lors des premières heures des opérations de vote incitent à la prudence sur l’issue de cette élection présidentielle. Avec des moyens différents, les 17 candidats ont mené la plus courte campagne d’une présidentielle au Sénégal dans le calme et la sérénité. La libération des opposants Ousmane Sanko et Bassirou Diomaye Faye le 14 mars 2024 ainsi que celle de plusieurs autres détenus politiques à la faveur de la nouvelle loi d’amnistie ont fortement contribué à l’apaisement qui a caractérisé la campagne électorale du premier tour.
Le pire évité de justesse
Le climat de sérénité de la campagne et la tenue sans incident majeur des opérations électorales ce dimanche tranchent avec les tensions suscitées par les différentes initiatives de Macky Sall à l’approche de la première échéance fixée au 24 février. A la veille de l’ouverture de la campagne, le président sénégalais avait alors annoncé le 3 février le report sine die du scrutin. L’Assemblée nationale acquise à Macky Sall avait voté, avec le soutien des partisans de Karim Wade, fils de Aboulaye Wade et candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS), le report de la présidentielle au mois de mai 2024. Ce qui aurait permis au président Macky Sall de rester au pouvoir jusqu’en juin. Le Conseil constitutionnel avait fin mis fin à cette ambition de prolonger le mandat du président sortant et de remettre en selle les candidats Karim Wade et Ousmane Sonko. Les juges constitutionnels avaient égalé enjoint aux autorités d’organiser dans les meilleurs délais la présidentielle. Plutôt que mettre en œuvre immédiatement la décision des juges constitutionnels, Macky Sall a organisé un dialogue national qui s’est inscrit dans la même démarche que les députés en proposant un report de la présidentielle au-delà du 02 avril et le maintien du président en place jusqu’à la désignation de son successeur. Le Conseil constitutionnel a retoqué à nouveau les velléités de maintien de Macky Sall au pouvoir en invalidant les propositions du dialogue national mais surtout en fixant la présidentielle au 31 mars. Afin d’éviter que les opérations électorales se tiennent en plein week-end des Pâques dans ce pays à majorité musulmane mais respectueux de sa communauté chrétienne, c’est finalement ce dimanche 24 mars qui a été retenu pour l’élection, après concertations entre la présidence de la république et les sages du Conseil constitutionnel. Dos au mur, Macky Sall n’avait de toute évidence aucun autre choix que de suivre le dernier arrêt des sept sages.
Quel avenir pour Macky Sall ?
A l’exception de quelques cafouillages entraînés par la forte affluence des électeurs et des retards dans la mise en place du matériel, les opérations électorales semblent s’être bien déroulées ce dimanche. Dans ce pays à forte tradition d’organisation d’élections transparentes, libres et démocratiques, les résultats de la présidentielle ne devraient pas tarder à être connus. Les compilations des votes par les états-majors des candidats pourraient même être connus dès ce dimanche dans la soirée et indiquer les tendances fortes du scrutin. Outre les résultats provisoires, les Sénégalais surveilleront avec grande attention l’avenir de celui qui aura présidé aux destinées de leur pays pendant douze années. Macky Sall va-t-il rester au Sénégal ? Va-t-il partir à l’étranger comme ses prédécesseurs Abdoulaye Wade et Abdou Diouf qui vivent en France. En novembre 2023, le président sénégalais avait été nommé par son homologue français Emmanuel Macron Envoyé spécial du Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P). En quittant la présidence du Sénégal, Macky Sall ne devrait donc pas connaître le chômage. Ce point de chute sera-t-il suffisant pour lui éviter les blues de l’après-pouvoir ?