« Si l’expérience de 2016 (le compromis qui a permis à Michel Aoun d’être élu président) était ratée, cela ne signifie pas que d’autres le seront aussi », estime l’ancien Premier ministre Saad Hariri au terme de son séjour à Beyrouth.
Tilda Abou Rizk (Ici Beyrouth)
Au cours d’une conversation à bâtons rompus avec les journalistes, jeudi, à la Maison du centre, à la fin de son séjour d’une semaine à Beyrouth, l’ancien Premier ministre Saad Hariri a appelé à un compromis pour débloquer la présidentielle. Il a qualifié de « mortel » le vide institutionnel dans lequel le pays est plongé depuis la fin du mandat du président Michel Aoun, en octobre 2022.
Dans le discours de Saad Hariri, une constante: celle de ne donner aucune indication sur le timing d’un retour au Liban et à la vie politique. Décontracté, souriant, il élude toutes les questions à ce sujet: « Comme j’ai suspendu mes activités politiques, j’ai le droit de ne pas répondre », plaisante-t-il, mais il laisse entendre que l’heure de renouer avec la vie politique n’a toujours pas sonné pour lui.
Il devient plus sérieux lorsqu’il aborde les problèmes auxquels le Liban est confronté, notamment « l’effondrement des institutions », et se montre extrêmement sévère à l’égard des leaders politiques, leur reprochant « leurs divisions » et « l’immobilisme dont ils s’accommodent ». « L’effondrement s’est produit. Si les leaders dans ce pays ne modifient pas leurs positions, et ne font pas chacun un pas vers l’autre, le Liban restera toujours à la traîne alors que le monde entier progresse », avertit M. Hariri. Il relève que le Liban n’est plus une priorité pour l’Occident et les États arabes et qu’il incombe aux différentes parties libanaises d’œuvrer pour une normalisation dans le pays. « Celui-ci souffre de nombreux maux et la seule solution pour inverser une détérioration à plusieurs niveaux est d’œuvrer à redynamiser les institutions à travers l’élection d’un président et la formation d’un gouvernement », insiste-t-il.
Priorité absolue
Pour Saad Hariri, l’élection d’un président reste « la priorité absolue, parce que la situation est dangereuse », ce qui commande, selon lui, un compromis. « Il faut que les partis politiques parviennent à une solution pour en finir avec ce vide mortel. Il est vrai que l’expérience de 2016 était ratée (le compromis présidentiel grâce auquel le fondateur du CPL, Michel Aoun, avait été élu à la présidence de la République), mais cela ne signifie pas que toute autre expérience similaire le sera aussi », souligne-t-il. Sans vouloir s’étendre sur le sujet, il précise toutefois qu’il a encouragé « tous les blocs » qu’il a rencontrés à aller vers un compromis. Il évite au passage de commenter une remarque selon laquelle ce sont les mêmes ingrédients qui avaient servi à concocter le compromis de 2016 qui serviront pour celui de 2024. En d’autres termes, il s’agit du Hezbollah et de son allié Amal, favorables à l’élection du chef des Marada, Sleiman Frangié, à la tête de l’État.
Saad Hariri se garde de s’engager dans le jeu des noms. « L’un des avantages d’une suspension de la vie politique est de se tenir en dehors de celle-ci, mais de pouvoir commenter ce qui s’y passe », sourit-il. Il annonce d’emblée qu’il est proche « aussi bien de Sleiman Frangié, un ami de longue date, que de Jihad Azour », candidat de l’opposition et du CPL à la présidentielle.
« J’ai eu l’occasion de m’entretenir à plusieurs reprises avec ce dernier à Abou Dhabi, mais je n’ai pas vu Sleiman Frangié depuis un an et n’aurai pas l’occasion de le revoir de sitôt. Voilà pourquoi je l’ai invité à dîner », explique-t-il. L’ancien Premier ministre se dit persuadé qu’un rapprochement irano-saoudien, qu’il explique par la volonté de Riyad de booster son économie, ne peut que se répercuter positivement sur toute la région, dont le Liban.
Un conseil des sages
M. Hariri explique, en réponse à une question, qu’il lui importe peu de revenir à la tête du gouvernement, au cas où il reprendrait ses activités politiques. « Je n’ai jamais tenu à être Premier ministre. J’y ai été obligé. À vrai dire, je préfère qu’on nomme un Premier ministre capable de gérer le pays », dit-il, avant de conseiller « aux leaders politiques de former un conseil des sages et de laisser les Libanais travailler pour réédifier le pays ».
Selon lui, le « pays n’est pas en faillite, mais souffre d’une mauvaise gestion, raison pour laquelle le monde a cessé de traiter avec lui », et il « serait criminel de garder les bras croisés alors que les défis sont énormes ». Une situation d’autant plus urgente que le Liban risque d’être entraîné dans une guerre « vivement souhaitée par Benjamin Netanyahou », le Premier ministre israélien.
Saad Hariri plaide par ailleurs vigoureusement pour la modération « qui, avec l’ouverture et la communication, est au cœur du projet de Rafic Hariri ». « C’est cela qui favorise la stabilité politique et sécuritaire, indispensable à un développement économique, et qui conduira le pays à bon port », note-t-il.
Si l’ancien Premier ministre assure qu’il garde ses distances avec la politique libanaise, il fait comprendre qu’il interviendra dans un seul cas: si l’intégrisme gagne la communauté sunnite.
Saad Hariri, venu à Beyrouth pour la commémoration du 19ᵉ anniversaire de l’assassinat de son père, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, a eu des entretiens avec un large éventail de personnalités politiques et diplomatiques.
Son dîner avec Sleiman Frangié a attiré l’attention. L’absence de son ami et allié, le leader druze, Walid Joumblatt. Interrogé à ce sujet, M. Hariri s’est contenté de répondre en souriant: « Walid, c’est Walid ».