Au lendemain de l’annonce par les pays de l’Alliance des Etats du Sahel – Mali, Burkina Faso et Niger – de leur retrait de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest dont ils étaient membres depuis sa création en 1975, Cheick Boucadry Traore, de Convergence Africaine pour le Renouveau, nous fait parvenir ce texte.
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fait face à un séisme qui pourrait conduire à son implosion. En effet, les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont annoncé dimanche dans un communiqué conjoint leur retrait.
Cette décision est consécutive aux relations conflictuelles entre ces pays et l’organisation sous régionale depuis l’avènement des coups d’état militaires dans ces pays sahéliens, ignorant délibérément les coups d’état constitutionnels dans d’autres pays membres de la même organisation. Cette posture de ‘‘deux poids, deux mesures’’ enlève toute crédibilité et toute légitimité aux sanctions prises par l’organisation. Les dirigeants du Burkina Faso, du Mali et du Niger estiment que la CEDEAO ne répond plus aux aspirations de leurs peuples et regrettent que l’organisation se soit éloignée des idéaux de ses pères fondateurs. Ils l’accusent d’être sous influence des puissances étrangères et de représenter une ‘‘menace pour ses États membres et ses populations dont elle est censée assurer le bonheur’’. Ils ajoutent que l’organisation ne leur a apporté aucune assistance dans leur lutte contre le terrorisme, mais qu’elle a préféré imposer des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violations de ses propres textes.
Les dirigeants de l’organisation peuvent désormais se vanter d’être à l’origine des prémices de sa désintégration. Au fil des années, nous sommes devenus de plus en plus préoccupés par les réactions et décisions mal réfléchies de la CEDEAO et la boussole morale de ses dirigeants ; mais avec son inscription dans un rapport de force qui semble imposé de l’extérieur et l’approbation des sanctions inhumaines et dévastatrices contre des populations innocentes, il est clair que les dirigeants de l’organisation sous-régionale, poursuivant leur dérive autoritaire, ont franchi une ligne rouge.
Un rapport de force imposé de l’extérieur
Nous avons toujours insisté sur le fait que les sanctions infligées par la CEDEAO à ces pays étaient contraires à la légalité et dénuées de base juridique. Nous avons toujours considéré ces mesures comme suicidaires et nous avons toujours pensé qu’elles nuiraient à l’économie des pays et qu’elles rendraient l’intégration économique difficile voire impossible. L’histoire est en train de nous donner raison.
Les évènements de ces derniers temps ont davantage révélé l’incapacité de la CEDEAO à développer une stratégie commune efficace et à exprimer un leadership politique et économique autonome. Au lieu de cela, c’est devenu un autre indicateur de la courbure du bloc économique envers les Occidentaux. Ainsi, au lieu de trouver des solutions durables aux problèmes politiques ou économiques au sein des Etats membres, elle continue plutôt à prendre des décisions légères et absurdes qui la rendent encore plus néfaste. Il nous semble que les dirigeants de l’organisation ont démontré un manque de compréhension des enjeux. Il est temps qu’ils acquièrent la capacité d’anticiper les conséquences de leurs décisions et actes.
L’utopie ne doit point devenir l’espoir de notre temps. Il est temps d’agir pour réinventer nos pays. Nos politiques doivent viser à redresser réellement les fronts longtemps courbés par des circonstances historiques désastreuses afin de prendre pour de bon, le plus bel élan dans la paix retrouvée, pour nos peuples unis et libres à jamais, jouissant fièrement du bien-être idéal et garantissant le développement durable, en mettant à profit les potentialités humaines et les ressources naturelles dont regorgent nos pays. Aussi, les dirigeants de l’organisation doivent démontrer plus de connaissances et de compétences pour prendre leurs propres décisions concernant nos affaires et surtout savoir évaluer correctement les risques encourus par ces décisions. Ils doivent éviter de faire l’erreur de penser que ces risques ne les concernent pas ou qu’ils échapperont aux conséquences potentiellement négatives de leurs choix.
Les graves erreurs d’analyse de nos dirigeants
Les Présidents des pays membres de la CEDEAO se font sans doute des illusions sur la capacité des pays occidentaux et des institutions internationales à trouver des solutions aux problèmes africains. Depuis l’accession de nos pays à l’indépendance, ces institutions et pays n’ont jamais pu trouver de solutions durables aux problèmes africains. Pourquoi alors continuer à se tourner vers eux? Nos dirigeants font une très mauvaise lecture des événements et des rapports de forces et ils démontrent leur ignorance de la volonté profonde de nos peuples pour une renaissance de l’idéal africain. Ce sont ces erreurs d’analyse et de manque de maîtrise de la géopolitique et de la géostratégie qui nous ont conduit dans l’impasse où nous nous trouvons.
Tandis que les Africains parlent d’une nouvelle phase dans les relations internationales, exigeant la création d’institutions plus adaptées aux nouvelles réalités de nos pays et le rejet des positions de monopole ou de domination d’un groupe restreint de pays, certains de nos gouvernants semblent vouloir le contraire en préservant la place des puissances étrangères chez nous. Loin de permettre une sortie de crise, les actions de ces dirigeants de la CEDEAO ne font que conduire à une soumission aggravée et forcée de nos pays aux logiques des forces étrangères qui nuira, bien sûr, au bien-être de nos populations. Les peuples africains ont soif de s’émanciper de la domination extérieure. Nos populations ne veulent plus satisfaire les exigences de pays recourant aux mesures de coercition directe et de pays donneurs de leçons aux mœurs encore plus dépravées.
Il va sans dire que les récentes initiatives et décisions des Présidents de la CEDEAO constituent une ligne de fracture dans nos sociétés de la sous-région. Ces décisions qui ignorent la volonté affichée de nos peuples en faveur d’une émancipation totale sont aussi contraires aux prescriptions des Constitutions de nos États. Or, notre ambition pour la CEDEAO dans la communauté internationale est de porter haut les valeurs de nos pays et nous voulons certainement que les Africains soient gagnants dans la mondialisation. Aujourd’hui, plus que jamais, nous voulons que notre communauté sous-régionale soit le moteur de la refondation des institutions internationales, une communauté plus forte et plus protectrice, une CEDEAO qui refuse la naïveté et défend les intérêts des peuples des États membres.
La CEDEAO doit rester fidèle à ses propres valeurs
La CEDEAO doit rester fidèle à ses propres valeurs et à l’esprit de ses pères fondateurs. Il nous faut, pour cela, rester unis mais aussi maintenir une ambition collective intacte, une ambition pour continuer de transformer les pays de notre communauté face à la tentation de l’esprit de règle et de division, sur lequel se sont toujours appuyées les puissances étrangères pour mieux asseoir leur domination. Nous ne devons jamais perdre de vue l’impératif d’unité de la sous-région que nous formons tous ensemble. Nous souffrirons tous des conséquences de notre échec si nous ne nous unissons pas pour répondre aux menaces et urgences à travers de solides projets de sécurité nationale, de développement économique durable ou l’instauration d’une vraie culture démocratique.
L’un des moyens les plus importants de renforcer la démocratie et la sécurité est de chercher à améliorer la vie des peuples qui constatent que leurs gouvernements ne répondent plus à leurs besoins. Et, tandis que nous nous efforçons d’améliorer la vie de nos populations, nous devons travailler avec une détermination renouvelée à mettre fin au terrorisme et aux conflits qui causent tant de douleur et de souffrance dans nos pays. Nos forces militaires ne doivent pas être dirigées contre une nation sœur de notre communauté, mais plutôt contre le terrorisme qui continue à déstabiliser la sous-région. Nous devons redoubler de diplomatie et nous engager à recourir à la négociation politique, et non à la violence militaire ou économique contre un pays frère comme outil privilégié pour gérer les tensions. Nous devons rechercher un avenir de paix et de sécurité accrues pour tous les peuples de la CEDEAO.
Une CEDEAO au service des intérêts de nos pays
Chaque peuple veut que son pays prenne toute sa place dans la CEDEAO et dans le monde. Notre destin se joue dans une CEDEAO plus rassemblée. Nous voulons une CEDEAO qui change dans un monde nouveau. Nous voulons une CEDEAO qui œuvre pour des changements politiques et sécuritaires, économiques et sociaux qui répondent aux attentes des peuples de la Communauté. Nous voulons une CEDEAO sociale, qui puisse servir de modèle aux autres peuples de l’Afrique tout en étant au service de l’Homme. Nous voulons une CEDEAO qui gagne en efficacité, en lucidité et en démocratie. Une CEDEAO qui défend de bonnes politiques de gouvernance et non une démocratie de façade. Nous voulons une CEDEAO plus simple, pour que chacun puisse comprendre les modalités de décision et les responsabilités des institutions. Les citoyens des pays membres de la CEDEAO veulent une organisation qui permet l’émergence d’un système économique et social au service des peuples de la communauté et qui comprend sûrement les aspirations de ses peuples.
Nos pays ont besoin de gouvernants qui ont la confiance de nos peuples. Des gouvernants qui sont les seuls maîtres d’œuvre, guidés par les seuls intérêts de nos pays, et assurant la cohérence des politiques. Aussi, souverains, nos pays doivent faire leurs propres choix et devenir les gestionnaires uniques de leur destin.
Il est temps que la CEDEAO commence à jouer le rôle qui est le sien. À ce stade, il serait plutôt honorable de tenter de relever le défi du dialogue avec toutes les parties en proposant une solution acceptable qui mènera au retour à une vie politique et économique normale dans la sous-région. Il est temps de cesser de fragiliser la voix de certains pays membres de la communauté en remettant en cause leur place de membre actif et de droit ou encore en essayant de les mettre sous tutelle.