Le chef de l’Etat béninois Patrice Talon est devenu le principal avocat de la reprise des relations normales avec la junte au pouvoir à Niamey, après avoir joué les va-t-en-guerre contre le pays, au lendemain du coup d’Etat du 26 juillet 2023 contre le président Mohamed Bazoum. Le virage à 180 degrés de Talon tient surtout à des considérations de politique intérieure.
« Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, mais nous n’avons pas réussi à changer les choses au Niger. Après, la nature décide ; l’homme propose Dieu nous dispose. La situation du Niger telle qu’elle est aujourd’hui, elle s’impose à nous. Tout responsable sérieux doit regarder les choses en face et se dire ce qui s’impose à moi, je prends acte. Et c’est ma situation à moi. Je dis le temps de la condamnation et des menaces est désormais passé ». C’est à une sorte vraie mea culpa que s’est livré le chef de l’Etat béninois Patrice Talon lors d’une intervention début janvier à la radio et télévision de son pays.
Talon est même allé plus loin en prônant un dialogue ouvert avec le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) et en actant la fin de l’ère Bazoum. « Nous devons, a-t-il ajouté, prendre acte et parler avec ceux qui sont là et qu’ils nous disent quelle est leur feuille de route afin que nous puissions les accompagner ».
Réalisme économique
Derrière le revirement du président béninois, apparaissent très clairement des considérations économiques. Le Bénin souffre autant que le Niger des sanctions imposées par la CEDEAO à son voisin nigérien depuis le coup d’Etat du 26 juillet. La fermeture de la frontière commune nigéro-béninoise a entraîné l’arrêt des importations et des exportations en province et à destination du Niger à partir du Port autonome de Cotonou (PAC). Et comme un tiers des activités du port Cotonou concernent les marchandises à destination du Niger, les sanctions sont devenues intenables sur la durée pour l’économie béninoise. Sur le corridor entre Cotonou et la frontière nigérienne long de près de 1000 km, toute la petite économie béninoise, qui vit des échanges avec le Niger, est totalement sinistrée par l’embargo de la CEDEAO. Depuis plusieurs mois, les plaintes remontent au président Patrice Talon, lui-même un business man redoutable avant d’entrer en politique.
Alors qu’il n’a pas définitivement tranché son avenir politique, et qu’il est, peut-être encore tenté part le troisième mandat, Patrice Talon ne peut pas se mettre à dos tout l’électorat du nord du Bénin qui vit des échanges avec le Niger, mais qui vote surtout habituellement pour l’opposition. L’ancien président Yayi Boni, désormais chef de file de l’opposition est justement originaire de cette région qui paye aujourd’hui le plus lourd tribut aux sanctions de la CEDEAO contre le Niger.
Autre argument économique de poids qui a fait fléchir Talon, c’est le Pipeline d’export Niger-Bénin (PENB) dont la mise en service officiellement à la fin de l’année 2023 devrait permettre au Niger d’exporter près de 90.000 barils de pétrole brut, via le territoire béninois. Outre les droits de transit en milliards de FCFA que l’Etat béninois devrait recevoir, le PENB devrait bénéficier à de très nombreuses entreprises béninoises de sous-traitance, de sécurité, d’informatique, de distribution de carburant. Talon a donc senti le danger qu’il y a à se mettre à dos durablement et de manière frontale la junte militaire nigérienne. Une partie de l’opinion nigérienne avait d’ailleurs commencé à réclamer publiquement l’abandon du pipeline vers le Bénin et la recherche d’autres voies d’exportation du brut nigérien. Ce qui représente un risque économique et politique pour Talon.
Trahison de Tinubu
Des considérations diplomatiques et politiques s’ajoutent aux arguments économiques pour expliquer la volte-face de Patrice Talon. Comme plusieurs autres de ses homologues de la sous-région, Patrice Talon se sent trahi par le président nigérian Ahmed Bola Tinubu. Après avoir convaincu les autres chefs d’Etat de la sous-région de la faisabilité d’une option militaire contre les militaires, auteurs du coup d’Etat contre Bazoum, le président Tinubu a finalement botté en touche, sans avoir eu l’élégance de les aviser. Alors que le Nigeria devait être le fer de lance de l’intervention militaire de la CEDEAO au Niger, avec en second rideau le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, Tinubu a préféré tout abandonner sur la pression des dignitaires du nord de son pays (Sénateurs, Gouverneurs, chefs traditionnels et religieux) qui ont des liens familiaux au Niger.
C’est d’ailleurs pour protester contre cet « abandon en plein vol » de leur homologue nigérian que les présidents béninois Patrice Talon, ivoirien Alassane Ouattara et sénégalais Macky Sall ne se sont pas rendus le 10 décembre 2023 à Abuja au dernier sommet extraordinaire de la CEDEAO sur le Niger. Confortée par la reculade de Talon et les dissensions internes à l’organisation sous-régionale, junte nigérienne joue désormais la montre. A sa demande, la reprise des négociations entre la CEDEAO et le CNSP, prévues initialement pour le 10 décembre, a été repoussée au 25 janvier 2024.
La rivalité avec le président togolais
Le dernier argument qui a convaincu Talon de changer de fusil d’épaule sur le Niger, c’est l’ombre de sa rivalité avec le Togolais Faure Gnassingbé. En effet, alors que le Béninois apparaissait isolé dans sa posture de va-t-en-guerre contre le Niger, le Togolais avait choisi une position médiane qui a lui permis de gagner la confiance de la junte nigérienne qui a d’ailleurs désigné Faure comme médiateur entre le Niger et la CEDEAO. Sur le dossier nigérien, la diplomatie togolaise a marqué des points en obtenant non seulement d’être désigné avec la Sierra Leone comme médiateurs, mais aussi en convaincant récemment le général Abdourahamane Tchiani de libérer Salem Bazoum, fils du président Mohamed Bazoum. A Cotonou, cette montée en puissance de la diplomatie togolaise n’est pas forcément perçue d’un bon œil, connaissant les relations très distantes entre les présidents Patrice Talon et Faure Gnassingbé. L’ombre de la femme politique béninoise Reckya Madougou plane sur les rapports entre les deux hommes. Alors qu’elle était conseillère spéciale du président togolais, l’opposante Mme Madougou a été condamnée, en 2022, dans son pays à 20 ans de prison ferme pour « association de malfaiteurs et terrorisme ».
A Lomé, cette condamnation, jugée plus politique que judiciaire, a été très mal accueillie. En se rapprochant de la junte nigérienne et en en devenant un des meilleurs avocats Patrice Talon joue donc sur plusieurs tableaux. Pour l’instant, cette nouvelle forme de bienveillance tardive est accueillie avec méfiance par les militaires au pouvoir à Niamey et leurs partisans.
Francis Sahel