Au cœur de la Casbah dans le vieil Alger. Djamaa Lihoud, littéralement « la mosquée des Juifs », est un quartier où le négoce est encore vivace. Sous la synagogue reconvertie en mosquée à l’indépendance algérienne faute de fidèles, on achète et on vend de tout dans un joyeux tumulte. « Les Français nous ont pris nos juifs, ils nous rendent des expats », explique en souriant le vieux Omar sur sa chaise posée à même l’étroite rue qui découpe la Casbah en deux, la Haute et la Basse. Ce lecteur assidu de la presse internationale fait évidemment référence à la déclaration en forme de blague de Patrick Devedjian à la mi-septembre, « les Allemands nous ont pris nos Juifs, ils nous rendent des Arabes. »
Commerçant à la retraite, il se rappelle des Juifs du quartier. Plus forte communauté au Maghreb à l’époque, les Juifs d’Algérie sont partis pour la plupart et la dizaine de synagogues qui existait dans la Casbah ont fermé. Mais l’histoire reste ouverte.
Les vagues de l’histoire
Depuis des millénaires, il a toujours été attesté d’une présence juive au Maghreb et en Algérie. Mais au XIème siècle, une nouvelle vague arrive, fuyant le débarquement wisigoth en Espagne et une troisième suit, des Juifs fuyant l’Andalousie et la Reconquista catholique à la fin du XVème siècle. Dans la lancée de la reprise de territoires, les Espagnols vont même envahir Alger quelques années plus tard et habiter la Basse Casbah, à la limite Nord de la vieille ville, refoulant les Juifs et Musulmans vers le haut, serrés comme des sardines méditerranéenes. A l’invasion française en 1830, les nouveaux colons vont s’installer autour de la Casbah sur les grands boulevards et artères périphériques construits sous le règne de Napoléon III. Voyant la patrimoine historique se détruire, celui-ci demande d’arrêter de démolir le vieux bâti de la ville historique au moment où le décret Crémieux de 1870 octroie la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie, complétant le dispositif par « la naturalisation des Indigènes musulmans », établissant une nuance, cette deuxième citoyenneté n’étant pas automatique.
Des juifs redevenus indigènes
Près d’un siècle d’assimilations plus tard, l’Histoire jour un nouveau tour. La deuxième guerre mondiale, le régime de Vichy et la chasse aux Juifs en Europe, qui finit par l’abolition du décret Crémieux en 1940 refaisant des Juifs des Indigènes comme les Musulmans. C’est l’indépendance en 1962 qui va accélérer l’exode, la majorité des 140.000 Juifs rejoint la France et en 2015, les Juifs algériens sont en majorité installés dans l’Hexagone, bien que Devedjian ne le sache pas. Retour de la chasse, les nombreux expatriés français (35000 Français en Algérie, en comptant les bi-nationaux) habitent les hauteurs d’Alger, plus sécurisées.
Et Devedjian ? Le vieux Omar a révisé, « fils d’un arménien de Turquie ayant fui le génocide pour se réfugier en France, la même Turquie par laquelle passent les réfugiés syriens pour aller en France. » Le vieux Omar connait ses dossiers, « Devedjian a été militant de l’Extrême-droite dans sa jeunesse, militant dans des milieux qui ont toujours contre l’indépendance algérienne. » Oui, la mémoire. Tout le monde l’oublie. En 1923, la Syrie accueillait 20.000 réfugiés grecs affamés mais sans dette extérieure, puis 10.000 réfugiés irakiens en 2008, ceux-ci chassés par l’invasion américaine.
On veux des noms
Mais les Juifs algériens sont-ils juifs ? Shlomo Sand, historien israélien et professeur à Tel Aviv en doute. Pour lui, les Séfarades, c’est-à-dire les Juifs du Maghreb, ne sont pas Juifs au sens ethnique du terme et n’ont pas de filiation directe avec les anciens Hébreux. Ce sont des Berbères d’Afrique du Nord qui ont épousé la religion juive. Les noms d’ailleurs l’indiquent bien, pour ne citer que les plus célèbres, Aflellou signifie le coquelicot en Berbère, Zemmour désigne l’olivier, Lellouche et Allouche l’agneau et Mesguich vient d’une tribu berbère de Constantine, les Sidi Mezguich. « L’Algérie a donné beaucoup de stars à la France », résume le vieux Omar en s’attardant à regarder la population hétéroclite arpenter le Djama Lihoud, là même où Phéniciens, Romains, Byzantins, Vandales, Espagnoles, Turcs et Français sont passés.
« La France ? » fait semblant de s’étonner le vieux Omar en comptant sur ses doigts pour montrer la multitude. Jacques Attali, fils d’un tailleur juif de la Casbah, les Ghenassia, qui ont donné Gaston Ghenassia, plus connu sous le nom Enrico Macias, ou Jean François Coppé, fils de Monique Ghenassia, Juive d’Alger. Les Benichou, Bensoussan, Cherki, les Partouche des casinos du même nom. Chekroun désigne les roux, Djaoui désigne l’encens, Chemla signifie ceinture, les Juifs qui en portaient souvent à leurs pantalons étant souvent désignés ainsi. El Kabach, c’est le mouton, El Krief l’agneau, Elkaïm, l’intendant, Hanouna vient de tendre, en Arabe, Memmi signifie bébé en Berbère, Nacache, sculpteur et Tordjman, traducteur. Les Timsit, Bacri, Halimi et Bellaïche, les Cohen et les Levy comme Bernard Henri Lévy, faiseur de guerre né à Beni Saf dans l’Ouest algérien. Ou les Benamou, Benguigui, Darmon et même Guetta, d’une tribu berbère marocaine dont David Guetta est le descendant sonore.
Terminologie fluctuante
Combien de Juifs algériens dans le monde ? Combien d’étrangers en Algérie ? Tout dépend de la terminologie. Un Juif algérien est Français. Mais quand un Africain s’installe en France, c’est un migrant, ou pire, un immigré et s’il vient de Syrie c’est un réfugié. Quand un Européen s’installe en Afrique, c’est un expat, qui ne fuit pas le chômage mais court après des avantages. « Les Français nous ont pris nos Juifs, ils nous rendent des expatriés », reprend le vieux Omar.
Mais c’est quelle race un expatrié ? Un croisement de plusieurs races, élevé en milieu d’affaires et qui désigne celui qui est payé 10 fois le salaire d’un local.