Auditionnée le 23 février par la cour d’assises d’Abidjan pour atteinte à la sureté de l’État, l’ex-première dame Simone Gbagbo a dénoncé l’ingérence de la France en Côte d’Ivoire
La revoilà quatre ans après cette image qui avait fait le tour du monde : au côté de son mari Laurent, en maillot de corps et le regard hagard, Simone, l’ex-première dame de Côte d’Ivoire, la robe déchirée et le corps meurtri. C’était le 11 avril 2011. À l’issue de dix jours de bombardements intensifs de la résidence présidentielle par les hélicoptères de l’armée française, le couple venait d’être capturé après un assaut des forces spéciales pour être livré aux troupes d’Alassane Ouattara, proclamé vainqueur de la présidentielle de novembre 2010 par la « communauté internationale ».
De quoi Sarkozy se mêle-t-il ?
Depuis le 23 février, elle comparaît devant un tribunal d’Abidjan, comme des dizaines de coaccusés, pour la plupart détenus sans jugement depuis 2011, pour atteinte à la sûreté de l’État. Le visage éclairé d’un large sourire, dans une robe pagne aux motifs marrons et verts. Son séjour forcé dans un lieu de détention du nord du pays où elle a vécu dans des conditions spartiates, n’a en rien entamé sa détermination.
« De quoi le président Sarkozy se mêle-t-il ? », lanca t-elle en dénonçant « l’ingérence des autorités françaises » dont l’armée a, selon elle, « bombardé la résidence présidentielle alors qu’aucune résolution de l’ONU ne lui donnait ce pouvoir ». Elle accuse les « troupes rebelles » de Guillaume Soro, l’actuel président de l’Assemblée nationale et de Ouattara, « appuyées par l’ONU et les forces françaises d’avoir massacré des populations civiles, humilié des représentants de l’État ». « Comment puis-je être poursuivie sur la base d’une décision politique ? Alors que j’ai respecté la décision du Conseil constitutionnel ? », demande-t-elle. « J’ai été battue avec une violence inouïe » lors de l’interpellation, affirme-t-elle encore à la barre.
Quatre ans ont donc passé depuis la crise post-électorale qui a fait au moins trois mille morts, selon un décompte onusien. Laurent Gbagbo, détenu à La Haye, comparaîtra en juillet prochain devant la Cour pénale internationale pour « crimes contre l’humanité ». Charles Blé Goudé, le chef des « patriotes », incarcéré depuis quelques mois dans une cellule voisine, est dans l’attente d’une audience de confirmation des charges contre lui. Simone Gbagbo, réclamée elle aussi par la CPI, est jugée à Abidjan, Ouattara refusant de la livrer comme il fait la sourde oreille à trois ou quatre autres demandes de la juridiction internationale concernant ses chefs de guerre.
La loi des vainqueurs
Quatre années se sont écoulées et la scène des crimes et des drames qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire reste figée. Pour Simone et les 82 militaires et responsables du régime qui défilent à la barre, Gbagbo a gagné la présidentielle en novembre 2010, sa victoire a été proclamée par le Conseil constitutionnel ivoirien légalement constitué, et Ouattara a été installé au pouvoir par l’armée française. C’est conviction contre conviction, personne n’étant en mesure de produire des documents irréfutables qui prouvent la victoire de son camp. Au pays des enquêtes qui n’aboutissent jamais, la justice ivoirienne, comme la justice internationale, ont rassemblé des témoignages, des faits rapportés, des coupures de presse, mais aucune véritable expertise judiciaire pour étayer leurs dossiers d’accusation. Des dizaines de personnes étant incarcérées sans jugement, il faut un procès. On le fera donc avec cette curieuse accusation d' »atteinte à la sûreté de l’État ». De quel État s’agit-il ? De celui incarné par Ouattara mais il n’a prêté serment que le 6 mai 2011, quatre semaines après l’arrestation de Simone Gbagbo et de ses coaccusés. Juge-t-on des faits ou des idées ? Si on juge des faits, les partisans de Gbagbo qui ont rallié Ouattara après la chute de leur leader, devraient être eux aussi cités à comparaître. Mais dans le box des accusés, il n’y a que les irréductibles.
D’où un lourd soupçon de règlement de compte politique et d’exercice de la « loi des vainqueurs », titre d’un rapport d’Amnesty International publié en février 2013. Dans ce texte de 88 pages, l’ONG dénonçait déjà la situation d’impunité, surtout liée à la partialité des poursuites liées aux violences post-électorales en Côte d’Ivoire, qui ont fait plus de 3 000 morts. « À partir du moment où tout le monde reconnaît qu’il y a eu des exactions de part et d’autre, mais qu’il n’y a eu des poursuites que d’un seul côté – au niveau de la Cour pénale internationale, avec Laurent Gbagbo et sa femme, ainsi qu’au niveau de la justice nationale ivoirienne, où seuls les anciens membres du gouvernement ou les proches de Laurent Gbagbo sont poursuivis -, cela crée un sentiment de déséquilibre et de justice partiale, ce qui nuit à la réconciliation nationale. » Amnesty évoquait des exactions graves à l’encontre des populations (exécutions extrajudiciaires, homicides délibérés et arbitraires, arrestations motivées par des considérations politiques et actes de torture), des violations généralisées des droits humains, particulièrement à l’encontre des partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo. Ses enquêteurs, qui avaient visité plusieurs lieux de détention notaient que des personnes avaient été incarcérées « en grande partie en raison de leurs affiliations politiques ou de leur appartenance ethnique, et privées de liberté pendant des mois, sans pouvoir s’entretenir avec leur famille, ni consulter des avocats et des médecins. »
Et, quatre ans après, pas le début d’une enquête sérieuse sur plusieurs massacres dont celui de centaines (huit cents selon la Croix Rouge) de Guérés (une ethnie de l’ouest du pays favorable à Gbagbo) froidement exécutées le 29 et le 30 mars 2011, après un tri entre hommes et femmes, selon un scénario évoquant Srebrenica, sans que des Casques Bleus présents dans les parages ne s’interposent.
Une militante chevronnée
Face à un acte d’accusation aussi déséquilibré et aussi peu étayé, revoilà donc Simone Gbagbo, la Dame de Fer, l’inflexible. Ses années de détention ne l’ont pas changé. À 65 ans, elle repart au combat. Même machoire carrée, même visage volontaire à peine marqué par des rides, même détermination sans faille. La fille de gendarme est de retour. Un demi-siècle de combat, marqué par un passage à la Jeunesse Étudiante Chrétienne, un engagement dans le syndicalisme enseignant et la rencontre dans les années soixante-dix avec Laurent Gbagbo, le père de deux de ses cinq filles. Des années de combat qui l’amènent à assurer seule la direction du FPI (Front Populaire Ivoirien) alors que son mari est exilé en France. « Simone, c’est une militante, confiait Gbagbo il y a quelques années. Je ne l’ai pas convertie à la politique. Elle était là en 1992 quand le Premier ministre Ouattara nous a fait arrêter avec mon fils. À ce moment-là, on ne disait pas qu’elle était influente. Comme elle est mon épouse, je ne l’ai pas nommée ministre, mais elle fait son travail de député, de présidente du groupe parlementaire du FPI. Où est le problème ? Nous sommes mariés, mais nous sommes aussi deux camarades. » Deux camarades qui s’opposent au vieillissant Houphouët-Boigny et à son parti unique, à Ouattara, l’éphémère Premier ministre, puis à Bédié, l’héritier, renversé par un coup d’État en décembre 1999. Jusqu’en novembre 2000 et l’accession au pouvoir après une élection que Gbagbo jugera « calamiteuse ».
Et à partir de septembre 2002, la résistance à une rébellion armée, maîtresse du nord du pays, qu’elle incarne avec raideur (séquelle d’un accident de voiture et d’une blessure aux cervicales) et des déclarations à l’emporte-pièces. Quand en janvier 2002, une délégation du FPI s’envole vers la France pour participer aux négociations de Marcoussis avec les rebelles, elle prévient : «Si nos hommes flanchent, ils ne nous trouveront pas dans leur lit au retour !» lance t-elle. Joignant le geste à la parole, elle administre une gifle retentissante à Pascal Affi N’Guessan, le chef de la délégation, de retour à Abidjan après avoir négocié un accord qu’elle qualifie d' »impasse absolue ». Ce qui lui vaut, de la part de ses opposants, quelques qualificatifs bien sentis comme celui de « Raspoutine en jupon », de « pasionaria des tropiques », et des accusations persistantes, venues de France, d’entretenir des « escadrons de la mort ».
La pasionaria des tropiques
L’historienne, auteur d’un mémoire de troisième cycle sur le « langage tambouriné des abourés », son ethnie d’origine, n’a que mépris pour l’ancienne puissance coloniale qu’elle accuse de vouloir la peau de son mari président. On la voit haranguer les femmes patriotes et prendre la tête des « durs » du régime. Laurent, qui a toujours deux fers au feu, s’en sert mais conserve toujours le dernier mot. « Il décide seul », confiait un familier du couple. Depuis la fin des années quatre vingt dix, il a épousé lors d’un mariage traditionnel malinké Nady Bamba, 43 ans aujourd’hui, patronne d’une agence de communication. Mais, le couple présidentiel reste uni dans la lutte politique et le partage d’une foi évangéliste depuis une vingtaine d’années. Il n’est pas rare de voir la Première dame s’abandonner publiquement à des méditations religieuses et dans la résidence présidentielle, truffée de micros par les services français, on entendra, pendant des semaines, des prières incessantes s’élever du sous-sol où se déroulent les offices. Jusqu’aux toutes dernières heures des bombardements.
Alassane Ouattara, déjà en campagne pour sa réélection, voudrait sans doute tourner discrètement quelques pages de la crise post-électorale avec ce procés. Il n’est pas sûr que Simone Gbabgo, l’indestructible, le lui permette.