L’Algérie, cet Etat sans président

Absent lors de la fête de l’indépendance le 5 juillet dernier et au moment de la présentation des vœux pour la fin du Ramadhan, le président Abdelaziz Bouteflika ne s’est pas non plus rendu à la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire. Selon les rumeurs, il aurait interné une clinique de Genève en Suisse. Totalement impotent, le président algérien dont l’état de santé ne cesse de se détériorer n’a même pas pu téléphoner à son homologue français lors de l’enlèvement d’Hervé Gourdel

bouteflika-2014-avril-c-drC’est un fait sans précédent dans l’histoire de l’Algérie. Depuis qu’elle a été instituée, l’année judiciaire s’ouvre sans cérémonie officielle présidée par le chef de l’Etat en sa qualité de premier magistrat du pays. Il est devenu clair pour tout le monde que le président algérien ne peut plus accomplir ses fonctions. Pas même celles où il est tenu de faire acte de présence ou de répondre au téléphone.

L’entourage du président, à court d’arguments pour expliquer ces absences, préfère se murer dans un effroyable silence. Résultat logique, les rumeurs les plus folles courent. On entend qu’il serait mort ou maintenu dans le coma  le temps que son entourage, englué dans de graves affaires de corruption, prépare sa succession.

Entre Paris et Genève

Les uns le disent à Paris, à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce où il s’est fait soigner pour son AVC au mois d’avril de l’année passée et son ulcère d’estomac en 2005. Les autres assurent qu’il est à la clinique Genolier de Genève où il dispose d’une suite présidentielle à l’année depuis que son état de santé a commencé à se détériorer dès le début de son troisième mandat (2009). C’est dans cette luxueuse clinique qu’Abdelaziz Bouteflika va se requinquer à chaque fois qu’il en éprouve le besoin. Mais les quelques citoyens qui ont fait le guet devant l’hôpital le Val-de-Grâce dans l’espoir de voir un ballet d’officiels ou familial qui laisserait supposer la présence de Bouteflika n’ont rien décelé. Nous avons parlé par téléphone au service d’accueil de l’hôpital qui affirme que le président ne fait pas partie de ses pensionnaires.

Jusqu’ici les Suisses font preuve de beaucoup de discrétion quant à la présence du président algérien sur le territoire. L’administration nous assure que « ce nom ne (lui) dit rien ».

Nul ne sait, exactement où se trouve le chef de l’Etat. Cependant, une chose est certaine : Bouteflika est absent. « Même s’il est dans sa résidence médicalisée à Zéralda, il est absent de la vie politique du pays » estime un ancien ministre qu’on disait très proche du président. Il n’y a que le ministre des transports, Amar Ghoul, qui prétend le contraire en assurant l’avoir vu travailler même les jours fériés. « Ce ministre et d’autres comme lui ne connaissent pas la signification du mot pudeur pour se permettre d’ânonner pareils mensonges. Il sait très bien que personne ne le croit mais il ment pour faire plaisir à la famille du président, commente un cadre du ministère des travaux publics. Ce genre de déclarations a aussi pour but d’échapper à d’éventuelles poursuites dans l’affaire des pots-de-vin de l’autoroute Est-Ouest et de continuer à assurer des placements bancaires en Suisse et ailleurs ».

Communicante aphone

Interrogée par le quotidien « El Watan » sur la présence de Bouteflika à la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire 2014-2015, Mme Farida Bessa, directrice de la communication du palais, répond le plus simplement du monde : «Pour le moment, nous n’avons pas d’information à ce sujet. On ne sait pas si elle va avoir lieu ou pas. Nous vous tiendrons au courant s’il y a du nouveau». C’est dire qu’au niveau de la présidence, il n’y a plus de coordination entre les différentes structures, ou du moins de ce qu’il en reste.

Le palais d’El-Mouradia, siège de la présidence de la république, vidé de son personnel est, aujourd’hui, affreusement vide. Même l’arrivée du général major Athmane Tartag, dit Bachir, dans ses sabots de conseiller n’arrive pas à remplir le vide. Bien qu’on lui rattache une partie des missions du DRS (les écoutes téléphoniques et probablement la direction de la sécurité extérieure du DRS) il n’aura pas beaucoup de monde autour de lui.

Général déplumé

Les services qui lui seront rattachés (comme annoncé par le journal électronique (TSA) habitué des scoops sur la restructuration du DRS) continueront d’activer dans leurs propres casernes et non pas au siège de la présidence de la république. Le but de ces rattachements n’est autre que de déplumer davantage le général de corps d’armée Mohamed Mediène, alias Tewfik, qui a déjà perdu la direction de la sécurité de l’armée depuis juillet 2013 et voit celle du contre-espionnage passer sous la coupe du général Abdelhamid Bendaoud. Ce dernier est un proche de Saïd Bouteflika, frère cadet du président, depuis qu’il son passage à l’ambassade de Paris en en qualité de correspondant du DRS auprès des services secrets français.

Et si on finit par rattacher la Direction de la Documentation et de la Sécurité Extérieure (DDSE) à la présidence de la république que resterait-il alors à celui qu’on présentait comme faiseur de rois et le plus puissant des généraux ? Faut-il rappeler que, pour bien l’affaiblir, il lui a été imposé de se séparer d’une bonne brochette d’officiers mis d’office à la retraite au mois de février dernier ? A ceux qui lui demandaient d’agir avant l’élection présidentielle du 17 avril, le général Tewfik assurait qu’il maîtrisait la situation. « Il table sur l’horloge biologique » dit un de ses proches en poursuivant  « Tewfik sait très bien que Bouteflika n’ira pas jusqu’au bout de son mandat. Il préfère faire preuve de loyauté envers le président et prendre ensuite ses responsabilités que de provoquer une situation qu’il ne saura maîtriser. »

Vacance du pouvoir

Les absences répétées du président, sa longue hospitalisation suivie d’une longue convalescence du mois d’avril 2013 à ce jour, n’ont pas empêché le clan présidentiel de tout mettre en œuvre pour reconduire Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. Et ce pour un quatrième mandat qui ne méritait ni de mener campagne et ni d’adresser le moindre mot aux électeurs. Une fois réélu, il prouve aux plus réticents qu’il n’est nullement en mesure de faire face à ses charges présidentielles. Ses rares sorties publiques sont bidonnées par de grotesques montages vidéo où l’amateurisme le dispute à l’ignorance de l’abécédaire de la communication. Ce qui fait de l’Algérie la risée des media dans le monde.

Cette vacance du pouvoir ne semble pas pour autant titiller l’orgueil des responsables algériens civils et militaires, tout affairés qu’ils sont à préserver leurs privilèges à l’abri d’un régime peu scrupuleux.