Ali Bongo aime le foot mais la FIFA ne l’aime pas

En visite de travail en France du 7 au 9 avril, Le président du Gabon, Ali Bongo Ondimba, s’emploie à donner de son pays une image moderne grâce au football. Depuis la co-organisation (avec la Guinée Equatoriale) de la Coupe d’Afrique des Nations 2012, le ballon rond est considéré comme un vecteur de promotion d’un Gabon nouveau. Quitte à flirter avec les limites imposées par la FIFA en matière d’ingérence politique.

Ali_Bongo_au_stadeDepuis son arrivée au pouvoir en 2009, Ali Bongo Ondimba a fait du ballon rond l’un des instruments privilégiés de promotion de sa politique de « l’émergence » du Gabon. Quitte à passer en force et à risquer d’être rappelé à l’ordre par la FIFA, très à cheval sur le principe de non-ingérence du pouvoir politique dans les affaires sportives. Dès son intronisation, le jeune chef d’Etat place l’organisation de la CAN 2012, conjointement avec la Guinée Equatoriale, au rang de ses priorités principales. Sous la présidence finissante d’Omar Bongo, les chantiers de Libreville et de Franceville ont pris un important retard, alors même que les stades flambant neufs de Malabo et de Bata, achevés dès 2007, comblent déjà Teodoro Nguema Obiang, le président équato-guinéen.

Deux ans plus tard, le chef de l’Etat est fier de présider la cérémonie d’inauguration du stade de l’Amitié sino-gabonaise d’Angondjé, au nord de Libreville. Le terrain est dans un état indigne d’un match international, le coup d’envoi est retardé d’une vingtaine de minutes par des problèmes d’électricité et les Panthères du Gabon s’inclinent contre une équipe bis du Brésil, mais peu importe : Ali Bongo Ondimba peut marteler son message. Le Gabon émergent a rattrapé son retard, le pays sera prêt pour accueillir l’Afrique du football au mois de janvier 2012, même s’il faut changer la pelouse du stade de la capitale (ce sera fait sans tarder, avec le concours d’une société spécialisée sud-africaine).

Succès pour la Coupe d’Afrique 2012

La phase finale de la CAN 2012, co-organisée par le Gabon et la Guinée Equatoriale, permet à Ali Bongo de réaliser un de ses rêves. Alors ministre de la Défense, le futur président de la République avait dès 2006 œuvré pour que son pays accueille l’édition 2010 de l’épreuve. La Confédération africaine de football avait alors choisi l’Angola, tout en laissant le dossier gabonais en haut de la pile des candidatures. Plus porté sur le football que ne l’était son père, le nouveau chef de l’Etat ne se privera pas de congratuler son peuple (et lui-même par ricochet) à l’issue de l’épreuve, qui verra la Zambie s’imposer devant le favori ivoirien. « Je veux vous exprimer notre fierté d’avoir tenu, tous ensemble, le pari d’organiser et de participer avec succès à cet événement », dira Ali Bongo, avant de souligner :  « La réalisation de ces infrastructures positionne le Gabon comme un carrefour et une terre d’accueil des grands événements. »

Mais ce tableau idyllique cache des tensions, entre le staff sportif de l’équipe nationale et la présidence de la République. Début septembre 2011, le conseil des ministres avait nommé un trio de « managers généraux », chargé de coiffer le sélectionneur Gernot Rohr et ses adjoints.  « Cela se passe très bien avec le manager général en chef, Alain-Claude Grandet. Mais cela me perturbe parfois. L’équipe est perturbée aussi. Il y a beaucoup trop d’interlocuteurs. J’essaie de mettre tout le monde d’accord dans l’intérêt de l’équipe nationale », explique alors Gernot Rohr au site Footafrica365.fr.

Une « cellule foot » au Palais

Témoignage des problèmes posés par cette nouvelle organisation, les palabres intervenues le 11 octobre 2011, avant le match amical entre les Panthères et l’équipe des moins de 20 ans du Genoa. Furieux de ne pas avoir face à eux l’équipe fanion du club italien, l’un des managers généraux adjoints déclare que l’équipe gabonaise ne jouera pas. Etonnés, le staff et les joueurs se rassemblent et décident à l’unanimité de disputer la rencontre. Après quelques discussions, la partie aura bien lieu, conformément également au souhait du président de la Fédération, Placide Engandzas, présent sur place. « On n’allait quand même pas dire : On est le grand Gabon, on mérite mieux, et puis repartir ! », renchérit Gernot Rohr. « Vous imaginez si on n’avait pas joué ? C’aurait été un Knysna à l’envers avec des dirigeants qui remontent dans le bus ! ».

Les choses rentreront ensuite dans l’ordre, mais un ressort s’est cassé. Les plaies se rouvriront durant la phase finale de la CAN. L’élimination du Gabon par le Mali, en quarts de provoquera des dissensions entre Gernot Rohr et Daniel Cousin, le joueur vedette de la sélection. C’est sur intervention de la présidence que le sélectionneur, pourtant porteur d’un bilan sportif honorable, sera débarqué. Constituée dès l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo, la « cellule foot » du Palais du bord de mer, composée de trois hommes de confiance du président, prend de l’importance au moment de choisir le successeur de Gernot Rohr, le Portugais Paulo Duarte.

Premier membre du triumvirat, Hervé-Patrick Opiangah a fait quinze mois de prison du temps d’Omar Bongo. Ancien directeur d’une société de gardiennage et leader d’un parti politique d’opposition, cet homme de tempérament a ensuite sympathisé avec Ali Bongo, jusqu’à devenir chef de la sécurité de la famille présidentielle. Passionné de football et créateur du CF Mounana, l’un des clubs gabonais qui montent, « HPO » est l’un des hommes de confiance de la présidence sur le dossier foot. Plus atypique encore est le parcours du deuxième homme clé de la cellule foot, Frédéric Gassita. Talentueux musicien de jazz, cet enfant de Libreville s’est parallèlement lancé dans l’aventure du foot-business, en créant le FC Sapins, nommé d’après un terrain proche de l’aéroport où, jeune, il jouait à l’ombre des conifères. Quant au membre numéro 3, Cédric Mpouho, ce fils de ministre présente un profil d’oligarque plus classique dans les élites africaines.

Comme beaucoup de pays africains marqués par la double tutelle (de la Fédération et du ministère des Sports) sur leur équipe nationale, le Gabon fait donc parfois rimer émergence avec ingérence. En termes de com’, l’effet de cette politique est incontestable : la présidence peut s’enorgueillir d’accueillir à Libreville le Trophée des Champions, match d’ouverture désormais délocalisé de la saison de football… en France. En ce 3 août 2013, rien n’est trop beau pour voir le président accueillir à Angondjé Zlatan Ibrahimovic et les stars parisiennes, pas même un chèque de 800.000 euros remis à la LFP, la Ligue française de football professionnel. Pour le développement du football gabonais, les effets sont plus incertains. Alors même que le  « National Foot », le Championnat local, se veut professionnel, l’amateurisme est toujours de mise et les infrastructures restent sous-développées.

Les sanctions de la FIFA

Politiquement, cet interventionnisme étatique dans les affaires du football n’est pas sans risque. Car la Fédération internationale, la toute puissante FIFA, est très pointilleuse en matière de transparence et de non-immixtion du politique dans les affaires sportives. Pour le Gabon, le couperet tombe le 10 avril 2013. Elu président de la Fédération deux semaines plus tôt Jean de Dieu Moukagni voit son élection invalidée par l’instance internationale, suite à un recours déposé pour diverses irrégularités par son adversaire, Pierre-Alain Mounguengui. Si la cellule foot de la présidence du Gabon n’est pas directement visée par cette sanction – d’autant plus que le Dr Nicole Asselé, Secrétaire générale du ministère des Sports, avait désavoué Moukagni – le pays est désormais dans le viseur de la FIFA. Un comité de normalisation va gérer les affaires courantes de la Fégafoot jusqu’à ce qu’un nouveau scrutin soit organisé. Ce qui fut fait le 30 mars dernier, avec l’élection dans le respect des règles de Pierre-Alain Mounguengui.

La fin des sales affaires pour le football gabonais ? Au contraire. Avant de quitter son poste à la tête du comité de normalisation de la Fégafoot, Dieudonné Ndoumbou, a déposé plainte auprès de la justice gabonaise, sur demande de la FIFA. Les enquêteurs de la Direction générale des recherches (DGR), saisie du dossier, ont procédé a plusieurs auditions et interpellations, au motif des griefs suivants : détournement de fonds du programme d’assistance financière (PAF) de la FIFA, disparition mystérieuse de la manne provenant des droits télé que la CAF avait versés au Gabon après la CAN 2012, et, surtout, non-aboutissement du centre d’entraînement de Bikélé, qui entrait dans le cadre du fameux projet Goal 1. Malgré plusieurs financements de la FIFA, ce vaste projet structurant n’a jamais été conduit à son terme.

Coup de filet à la Fédération

Les principales personnalités mises en causes sont d’anciens présidents de la Fégafoot, arbitres ou dirigeants de club. Il s’agit notamment de Jean de Dieu Moukagni Iwangou, ancien vice-président puis président de la Fégafoot, Lucien Yanzangoye, ancien Trésorier général de l’instance, Christian Gabin Nzogo Mintsa, ancien directeur administratif et coordinateur Futsal, Jean-Fidèle Diramba, ancien arbitre et président de l’association des arbitres du Gabon, Mamadou Oumar, ancien vice-président de la Fégafoot, Barthélémy Bouassa Moussadji, ancien secrétaire général et surtout Jean-Léon Ababé Nzé, président de la Fégafoot à la fin du règne d’Omar Bongo (2005-2009).

La liste n’est pas exhaustive. D’autres noms pourraient émerger au fur et à mesure que les investigations progresseront. Il n’est pas exclu que Placide Engandzas, qui dirigea la Fégafoot de 1997 à 2004 puis de janvier 2009 à juin 2012, soit à son tour entendu. Si toutefois ce diplomate, actuellement en poste en Belgique comme chargé des questions douanières à l’ambassade du Gabon, voit la justice lever son immunité diplomatique. De la diplomatie, il en faudra au nouveau patron de la Fégafoot pour restaurer un climat de confiance entre Libreville et Zurich et redorer le blason du Gabon auprès de la FIFA. D’abord en veillant à ce que la présidence de la République n’empiète pas sur ses prérogatives.