Début juin, l’Algérie signait un accord agricole avec les Etat-Unis faisant craindre l’implantation de laboratoires de semences dans le pays. Un partenariat qui résulte en partie de la politique néo-libérale prônée par le frère du président, Saïd Bouteflika
C’est par l’agriculture que les USA entament une nouvelle offensive terrestre sur l’Afrique, Algérie comprise, avec la bénédiction de Saïd Bouteflika, le frère du président. Une histoire de famille recomposée dans une longue tradition de relations en dents de scie entre les Etats-Unis et l’Algérie.
Laboratoire agricole
Fin juin. Chaleur ou ramadan, ou les deux, le ministre algérien de l’agriculture, fraichement nommé, s’emporte en visitant une exploitation à l’occasion du lancement de la campagne labour-semailles. Fatigué d’entendre les plaintes des agriculteurs sur le manque d’aides de l’état, il lance : «vous ne faites que demander des subventions, dans ce cas, restez chez vous.» En effet, l’état algérien dépense chaque année près de 2.5 milliards d’euros pour l’agriculture, 5ème budget d’état depuis l’ouverture au privé en 1987 (oui, l’Algérie était très Soviet à l’époque).
Mais pour un secteur qui contribue à hauteur de 10 % dans le PIB et occupe 25 % de la population active (contre respectivement 1.6 % et 5.2 % pour l’Union Européenne), ce n’est pas assez. A titre d’exemple l’Islande et la Norvège redistribuent 66% des revenus agricoles en soutien aux producteurs, l’Union Européenne 33%, la Turquie 24, le Mexique 14 et l’Algérie à peine 5%. Mais la colère de Abdelkader Kadi n’est peut-être qu’une coïncidence, pendant que le ministre parlait de « fainéantise » aux agriculteurs algériens, des accords se nouaient avec les Etats-Unis, implantation de laboratoires de semences et expérimentations diverses sur des terres sahariennes, sur la base d’une introduction beaucoup plus large en Afrique.
La menace a fait réagir des spécialistes panafricains à Alger, d’autant que deux mois plus tôt, la commission de l’Union Africaine où l’Algérie est très influente, envisageait d’Addis Abeba en Ethiopie, de donner plus de liberté sur les OGM aux États membres. Si le Kenya est déjà embourbé dans les OGM US, de même que le Sénégal, le 23 mai dernier, pour la journée internationale contre les OGM, une manifestation a eu lieu au Burkina Faso, rassemblant des militants venus de tous les pays d’Afrique hostiles aux projets américains. Contrairement aux Algériens, ils sont inquiets de l’arrivée de la Fondation Bill Gates, qui sous couvert de 3 milliards de dollars « donnés » à l’agriculture africaine (95% de cette somme va en réalité aux organisations internationales présentes sur place), a amené avec lui des géants de l’OGM comme Monsanto (dont il détient des actions) mais aussi implanté des partenariats avec la fondation Rockefeller et les multinationales Cargill, Unilever, Nestlé, Coca cola et Olam. Au centre du projet africain, la recherche génétique, comme pour les accords signés avec l’Algérie, un euphémisme anglo-saxon pour diffuser des semences OGM et toute la panoplie de produits chimiques qui vont avec.
Obama, l’Afrique aux Américains
On attribue généralement à Massinissa, Aguellid (roi) berbère qui a unifié le pays (la Numidie, soit l’Algérie du Nord, au IIème siècle avant JC) cette maxime, adressée à l’empire romain conquérant de l’époque : » l’Afrique aux Africains. » Sur le continent, les petites fermes familiales produisent plus de 90 % de toutes les récoltes et pour les Etats-Unis, le problème est plus large, en absence de débouchés, ils attaquent en Afrique, qualifié de « continent à la croissance la plus rapide » par la Maison-Blanche lors du sommet Etats-Unis-Afrique de l’année dernière. Pour contrer l’offensive chinoise ? Un rapport de l’ONG Action Air International daté de fin mai 2014 est à ce sujet édifiant : « le continent africain, qui possède à lui seul un quart des terres fertiles mondiales, concentre 41% des transactions foncières, sur un nombre total de 1.515 transactions à travers le monde. »
Premier acheteur de terres en Afrique, les USA possèderaient déjà 7 millions d’hectares pendant que la Chine stagne à 1,34 millions, résultat probable d’une campagne lancée en Grande Bretagne en 2013 à travers des affiches, géantes dans les aéroports, stations de métro et tous les centres des grandes villes, payée par le journal The Economist : BOOMING CHINESE INVESTMENT IN AFRICA IS BAD FOR AFRICANS (le boom des investissements chinois en Afrique est très mauvais pour les africains). Résultat de la campagne ? On ne sait pas trop. Mais depuis l’an 2000, poursuit le rapporteur d’Action Air International, plus de 1.600 transactions de grande échelle ont été répertoriées, soit une superficie totale de 60 millions d’hectares », sans compter les terres non cadastrées par les états africains, qui représenteraient 70% des terres. L’Algérie résiste encore, qui interdit le droit à la propriété du sol par des étrangers, mais elle possède d’immenses terres dans son Sud, plus d’un million de kilomètres carrés, assis sur une nappe d’eau fossile géante. Pour un Américain affamé et assoiffé, c’est la Californie.
Bouteflika, saison 4
Mais comment les USA ont-ils réussi à s’attaquer à la sacro-sainte valeur des Algériens, la terre ? Dans un câble daté de décembre 2009 et révélé par Wikileaks, il est fait mention que le département d’Etat est à la recherche d’informations sur le frère du président Abdelaziz Bouteflika, Saïd. Ce câble émanant du secrétariat d’Etat et signé Clinton souligne que les analystes de Washington manquent de «rapports sur ses activités et ses soutiens.» Un autre câble américain s’inquiète « du virage à gauche pris par l’Algérie » et à la fin de son 3ème mandat (2004-2009), le président Bouteflika tombe malade, le frère reprend discrètement la gestion et les soutiens sont identifiés, Il Camerlingo est approché.
L’Amérique, déjà bien présente dans les hydrocarbures conventionnels et depuis peu dans le gaz de schiste, s’attaque à l’agriculture avec le nouveau ministre Abdelkader Kadi nommé en mai dernier, qui entérine les accords assez opaques avec les Etats-Unis. Il ne s’agit officiellement pas encore d’OGM mais la voie est ouverte, après le sous-sol, les Américains entrent en sol. Accrochée à ses principes dans l’axe historique Tunis Damas Téhéran Pékin New Delhi Moscou, Alger tente de se diversifier avec la chute de ses recettes pétrolières. Mais l’opposition est tenace, à l’image de Louisa Hanoune, la trotskyste de choc du Parti des Travailleurs (24 sièges sur 462 à l’Assemblée), qui ne cesse de fustiger ce néo-libéralisme conduit par Saïd Bouteflika, lui-même ancien syndicaliste trotskyste, détenteur par ailleurs d’un doctorat à Paris en intelligence artificielle.
En cause, l’impulsion qu’il donne à son entourage, dont Ali Haddad, partisan d’une ouverture totale et qui vient de signer un partenariat avec l’Américain Varian, leader dans les dispositifs de radiothérapie pour récupérer une partie des 1,8 milliards d’euros que l’état algérien va mettre, un peu tard, dans un plan national anti-cancer. Oui, le frère travaille alors que le président est malade, mais lui se soigne en France, pendant que le grand amour, Etats-Unis/Algérie, renait de ses cendres. Le président Bouteflika, quand il était encore debout au début de son premier mandat, avait déjà donné la mesure : « nous ne sommes pas de taille à affronter l’Amérique » avait-il humblement avoué.
Rodriguez au pays des merguez
Une semaine après la nomination d’Abdelkader Kadi à l’agriculture, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah ainsi que le premier ministre Abdelamalek Sellal recevaient à Alger le général David Rodriguez, chef du commandement de l’Africom, le United States Africa Command, créé en 2007 par W. Bush pour coordonner toutes les activités militaires et sécuritaires des États-Unis sur le continent, mais qui n’y trouve toujours pas de siège pour son bureau.
Il n’y a sûrement aucun rapport avec l’agriculture mais le signe d’une coopération régulière entre les deux pays, notamment sur le terrain sécuritaire. Les relations algéro-américaines qui «remontent à plusieurs années» sont empreintes de «confiance», déclare le général Rodriguez. Il a bien dit « quelques années », car il y a 200 ans, 15 ans avant l’invasion coloniale française de l’Algérie, les USA et l’Algérie entraient en guerre, pour des produits agricoles. Entre 1785 et 1793, les redoutables corsaires de la Régence capturent des dizaines de navires américains chargés de denrées alimentaires pour un arriéré de 27000 dollars sur les sommes à payer depuis le traité de 1795.
L’opinion publique américaine, poussée par les exportateurs des produits agricoles, réclame des mesures, ce qui tombe bien puisque terminant la guerre avec l’Angleterre en 1814, l’Amérique peut déployer des navires en Méditerranée et foudroie la marine algéroise en 1815. Un traité est signé, avec des indemnités à verser aux Américains et cette première défaite d’Alger, alors sous protectorat turc, ouvre la voie au bombardement de la ville par une flotte anglo-hollandaise l’année suivante, ce qui achève le mythe de l’invincibilité d’Alger El Mahroussa (la bien gardée).
Le blé, nerf de la guerre
La suite est connue, le duc de Bourmont, déserteur à la bataille de Waterloo en 1815 est nommé pour débarquer à Alger à la tête de 37 000 hommes en 1830 et annonce aux Algériens : « la France vient vous libérer de vos tyrans turcs et vous redonner votre indépendance », sous les moqueries de son armée qui n’a pas oublié et murmure à voix basse « Alger est loin de Waterloo, on ne déserte pas sur l’eau ».
Encore une histoire de blé d’ailleurs, si le fameux coup d’éventail du Dey d’Alger infligé au Consul de France fut le prétexte de l’invasion, la colère du régent résultait d’un contentieux, deux intermédiaires, Bacri et Busnach, vendent à crédit du blé algérien à la France, qui tergiverse sur ses créances, poussant le Dey, manquant d’argent, à s’en mêler directement. Ironie du sort, 50 ans avant la colonisation française, l’Algérie est le premier pays à reconnaitre l’indépendance des Etats-Unis en 1783. Depuis, les relations ont évolué en dents de scie, l’Algérie condamnant les invasions américaines et l’Amérique reprochant à l’Algérie son soutien (prudent) au Yémen, à la Syrie, l’Iran et tous les maltraités de la Terre.
Ingrat, toujours en juin dernier, alors que les accords agricoles viennent d’être paraphés, le responsable de la Section commerciale de l’ambassade américaine à Alger, Christopher Wilken, exprime publiquement sa déception vis-à-vis de l’Algérie, qui « occupe la 147e place sur 189 pays pour ce qui a trait à la facilité de faire des affaires.» Quelques jours plus tard, le département d’état américain remet une couche, pondant un méchant rapport sur la situation des droits de l’homme en Algérie. L’oncle Sam et le frère du président ne se fâchent pas pour autant mais tout n’est pas réglé, les Affaires étrangères, conduites par le tatillon Ramtane Lamamra de la vieille école, répond en fustigeant l’Amérique avec un langage qui contraste avec la légendaire neutralité algérienne, jugeant «partial» voire «outrancier» ce rapport, soulignant « qu’il n’engage que ledit partenaire » (sans le nommer) et précisant que la communauté internationale « est, en l’occurrence, loin de reconnaître une quelconque mission de juge universel des droits de l’Homme à ce pays » (toujours sans le nommer).
Que de l’amour.