Quel formidable retournement ! Alors que les opérations militaires françaises au Mali et en Libye avaient été conduites sans la bénédiction d’Alger, loin de là, un très haut diplomate, Jean Marie Guehenno, proche de François Hollande et des milieux onusiens, vient de souligner publiquement « le rôle déterminant » d’Alger dans la résolution à l’avenir des crises libyenne et malienne
Le tout nouveau président d’International Crisis Group (ICG), Jean-Marie Guéhenno, n’est pas un grand bavard, la tète souvent penchée, l’œil malicieux perché en haut d’une haute silhouette, et la parole rare, souvent convenue. Successivement secrétaire général adjoint de l’ONU pour les opérations de maintien de la paix puis président à Paris de la commission du Livre blanc de la Défense en 2013, Jean Marie Guéhenno est un diplomate de très haut niveau que l’on sait proche de François Hollande. Or de passage en décembre à Alger, Jean-Marie Guéhenno déclare à la journaliste du quotidien « El Wattan », Nadjia Bouzeghrane, que « l’Algérie a un rôle déterminant dans le règlement du conflit malien et de la crise libyenne ».
Le primat du politique
Cet appui public d’un homme du pouvoir français va bien au delà des bonnes paroles habituelles. Ainsi sur la Libye, le diplomate plaide pour la non intervention militaire, ce qui constitue la position traditionnelle d’Alger, alors même que le ministre français de la Défense, Jean Yves Le Drian, est parti en croisade depuis septembre contre le nid terroriste au sud libyen qu’il faudrait éradiquer. « Il est urgent, déclare Guéhenno à Alger, d’organiser des contacts politiques entre les factions qui se combattent, car plus la violence se poursuit plus la situation se fragmente et les acteurs se multiplient. Il faut éviter une cassure du pays (…)».
Et de conclure sur un mode louangeur: « L’Algérie a une profonde connaissance de la région et c’est une bonne base pour une action politique ».De façon très diplomatique mais sans équivoque, Jean Marie Guéhenno, qui avait déja plaidé, sans être entendu, au sein de la commission du livre blanc pour un renforcement du volet politique de l’action de la France, défend le même rééquilibrage, sur les ddossiers malien et libyen, entre l’approche diplomatique et l’approche militaire. « Je retiens (…) qu’on ne peut pas faire la paix à la place des gens qui font la guerre ».
Alger doublement désavoué
Quel retournement pour la diplomatie algérienne ! Quelle revanche ! Il y a deux ans encore, le printemps arabe, encouragé par le frère ennemi qatari, semblait menacer un régime algérien immuable, présidé par un vieil homme amoindri et où seul l’immobilisme semblait en marche. En 2011, la France de Nicolas Sarkozy intervenait en Libye, et cela malgré l’opposition d’Alger, qui facilitera l’exil en Algérie de la fille chérie de Kadhafi, Aicha, et le transfert de précieuses archives du régime de la Jamariya.
Rebelote en janvier 2013, l’opération Serval est lancée au Nord Mali, contre l’avis des militaires algériens, qui préconisaient –déjà- une solution politique. « Cette opération, confie à Mondafrique un haut gradé algérien, est un remake de l’intervention de Suez en 1956. Que les français nous laissent faire ».
Au Mali, les militaires algériens possédaient en effet un sacré joker en la personne du très influent leader d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, inféodé depuis toujours au DRS, le redoutable et redouté service secret algérien. A cette date, explique un ancien diplomate français, « les services français avaient en leur possession des écoutes téléphoniques entre le chef touareg, désigné par Paris comme l’ennemi public numéro un qui allait soi disant investir l’ensemble du Mali, et les militaires algériens ». Hollande et Fabus n’ignoraient rien des relations intimes qu’Alger entretenait avec un partie de la rébellion touaregue, ni de son intention de trouver une solution politique entre les autorités de Bamako et leur protégé, qui a toujours pris position- ce que la propagande française n’a pas mis en avant- contre l’indépendance du Nord Mali. Un atout majeur pour Alger qui souhaite à tout prix éviter la création d’un Etat aux confins du Mali et du Niger susceptible d’alimenter les revendications de ses propres minorités (Berbères, Kabyles, Touaregs).
Paris, cavalier seul
Mais peu importait aux Français qui partirent en croisade en Libye avec leurs amis qataris (avec une vague bénédiction américaine) et qui firent cavalier seuls au Mali (avec une vague aide logistique de l’oncle Sam)! Et avec le succès que l’on sait. La Libye est livrée au chaos et le Nord Mali, où des assassinats ont lieu toutes les semaines ou presque, est dominé par les rivalités entre bandes armées et par les interventions ponctuelles de groupuscules terroristes.
Alger occupe désormais une place cruciale dans le dossier de la crise malienne. Depuis cet automne, des pourparlers ont démarré à Alger entre les différentes factions, armées ou non, qui se déchirent le Nord du Mali. Tous les chemins mènent à Alger. Même Blaise Compaoré, qui s’était posé après l’opération Serval et avec l’accord des français comme un possible faiseur de paix, s’est rendu en visite secrète à Alger en décembre 2014 après avoir été chassé du pouvoir.
Sainte alliance contre Daech
De toute façon, les menaces venues d’Irak chassent les querelles inutiles. L’ombre de Daech (Etat Islamique) plane sur toute la région Depuis novembre 2014, des opérations de lutte antiterroristes ont cependant été déployées conjointement par la France et l’Algérie. Selon El Watan, les services de sécurité des deux pays ont repéré des déplacements de certains terroristes d’Algérie vers le nord du Mali pour négocier avec les katibas la possibilité de rejoindre Daech. Dès le début du moins de novembre, les forces françaises ont pisté un terroriste chargé de transmettre un courrier aux katibas de la part de Daech.
Les services de sécurité algériens ont arrêté sur la route nationale reliant Biskra à Ouargla, un terroriste mauritanien, Safi Eddine El Mauritani, qui les a renseigné sur les opérations qui allaient se produire dans la région.
Vers un Axe Tunis-Alger
A noter également que le nouveau patron de la Minusma à Bamako nommé en décembre dernier est l’ancien ministre des affaires étrangères tunisiennes Mongi Hamdi. Proche du ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, qui a été en poste à New York et à Washington, Hamdi a eu à gérer notamment le dossiers ibyen sous le gouvernement de Mehdi Jomaa. La coopération ne peut que se renforcer entre Tunis et Alger. En effet, l’élection de Beji Cadi Essebssi, candidat des Algériens ( alors que le Maroc défendait plutôt Moncef Marzouki) et historiquement proche du clan Bouteflika, renforce également la tutelle d’Alger sur une Tunisie exposée aux infiltrations terroristes venues de Libye.
L’Algérie ravagée par une guerre de succession sans fin aurait-elle retrouvé quelques coluelurs sur le théatre extérieur? Ou est ce que le DRS, trop vite enterré et à qui revenait la politique africaine, est-il en train de reprendre la main?