Alors que la capitale malienne est secouée par l’évasion de détenus de prison dont certains seraient liés à des groupes islamistes, les négociations avec les rebelles du nord se poursuivent, dans de grandes difficultés, sous la houlette d’Alger. L’Elysée a envoyé à Bamako la conseillère de François Hollande, Hélène Legal, pour faire pression sur le président malien IBK afin qu’il néocie enfin avec les mouvements touaregs, dont le MNLA. Mais le pouvoir malien, secoué par de nombreux scandales financiers, est devenu un bateau sans gouvernail
Dans le quartier Coura où se trouve la grande prison civile de Bamako, l’évasion spectaculaire d’une vingtaine de détenus lundi 16 juin alimente toutes les conversations. « On sent maintenant l’insécurité jusqu’ici dans la capitale » lance une résidente recroquevillée à l’entrée d’une petite boutique.
Panique à Bamako
Le calme relatif de la capitale malienne avait presque fait oublier que la crise du nord concerne tout le pays. La présence parmi les évadés d’un jeune touareg lié à Aqmi, Mohamed Ali Ag Wassouden a fait l’effet d’une piqûre de rappel. L’homme, auteur présumé de l’enlèvement de deux ressortissants français en 2011 à Hombori dans le nord du pays a en effet bénéficié de complicités sur place pour s’échapper. Il était notamment attendu par un groupe de personnes armées postées devant le portail de la prison et chargées de sécuriser sa fuite. Des premiers éléments d’enquête indiquent que les islamistes du nord du Mali auraient joué un rôle important via des complices locaux. Loin d’être résolue, la crise qui oppose le pouvoir central malien aux rebelles du nord continue donc de miner le Mali à la faveur de la réorganisation des djihadistes sur cette partie du territoire.
Les regards sont à présent tournés vers l’Algérie où les discussions se poursuivent pour tenter de mettre fin aux violences. Après la signature de la « déclaration d’Alger » le 9 juin par les principaux groupes rebelles — le MNLA, le HCUA et le MAA — qui se sont engagés à mener un dialogue « inter-malien inclusif », une réunion de six pays du Sahel consacrée à cette crise s’est ouverte lundi 16 juin.
Retour aux négociations
A cette occasion les représentants de l’Algérie, du Mali, du Niger, du Burkina Faso, de Mauritanie et du Tchad, accompagnés du chef de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), Bert Koenders, et du Haut Représentant de l’Union africaine (UA) pour le Mali et le Sahel, Pierre Buyoya, ont évoqué les possibilités d’une sortie de crise. Une fois de plus, les autorités algériennes étaient aux premières loges.
Lors de l’ouverture de la rencontre, le ministre des Affaires étrangères algérien Ramtane Lamamra s’est imposé comme chef de cérémonie en déclarant que « les conditions sont de plus en plus mûres pour l’avancée vers la paix » dans le nord du Mali. « Il y a une très nette volonté des hauts responsables des mouvements du Nord du Mali à travailler pour la paix », a-t-il ajouté. Deux jours avant cette réunion, trois autres mouvements armés ont rejoint le mouvement général en signant une plateforme similaire à la « déclaration d’Alger » : la Coalition pour le peuple de l’Azawad (CPA), qui est une dissidence du MNLA, les mouvements d’auto-défense sédentaires de la région de Gao qui soutiennent Bamako, dans le nord du Mali, et une frange du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA).
Alger en force
Ces dernières avancées marquent avant tout la reprise en main du dossier malien par l’Algérie. En s’imposant comme médiateur dans la crise, Alger, qui considère le nord du Mali comme une zone d’influence, s’affirme comme un acteur incontournable dans la crise malgré les réticences de nombreux rebelles. Selon un proche du MNLA, une grande partie des groupes armés ne fait aucune confiance aux autorités algériennes. Celles-ci n’ont en effet jamais respecté leurs engagements envers les touaregs après la signature des accords de Tamanrasset (1992) et d’Alger (2006) scellant les précédentes rébellions. C’est donc du bout des lèvres seulement que les rebelles ont accepté de revenir à la table des négociations sous la houlette du grand voisin du nord.
Le retour en force du pouvoir algérien sur la scène malienne entérine par ailleurs la mise à l’écart du Burkina Faso et de son président Blaise Compraoré. Celui-ci avait en effet endossé le rôle d’intermédiaire au nom de la CEDEAO jusqu’à la signature des accords de Ouagadougou avant d’être accusé par le président malien IBK de favoriser en sous-main le MNLA. Les raisons de cette mise à distance vont néanmoins plus loin. Une source sécuritaire explique que pour les autorités de Bamako qui ont perdu tout contrôle sur la région de Kidal, le retour d’Alger dans le jeu malien participe d’une stratégie destinée à ramener progressivement les négociations sur le territoire national. Dans le nord Mali, l’influence exercée par l’Algérie ne cesse en effet de croître à la faveur du conflit. Dans la zone de Kidal, les populations ne vivent plus que des échanges économiques avec ce pays voisin depuis 2012. « Même si nous voulions faire un embargo, nous ne le pourrions pas. Aucune marchandise ne circule entre cette zone et le reste du Mali. L’Etat malien est complètement absent » explique un ancien ministre qui requiert l’anonymat.
Enfin, cette percée algérienne risque de reconduire à nouveau la signature de l’accord de défense entre la France et le Mali qui ne cesse d’être retardé. Ce traité est jugé indésirable par Alger qui souhaite maintenir Paris hors de sa zone d’influence sahélienne.
« Lessiver » Ansar Dine
Les chances de réussite de ces pourparlers restent quant à elles soumises à des conditions difficilement négociables pour chacune des parties. La question la plus épineuse demeure celle du statut territorial de l’Azawad et de Kidal sur lesquels les autorités maliennes ne sont pas prêtes à transiger. A Bamako, commentaires et pronostics vont bon train. Ils sont largement alimentés par les tensions entre les populations du nord et du sud du Mali donnant lieu à une surenchère d’arguments difficilement vérifiables. Dans les milieux attachés à l’unité territoriale du Mali, on affirme ne rien attendre de la part des groupes armés considérés comme étant sous l’influence des djihadistes. Des arguments balayés d’un revers de main par les soutiens du MNLA qui accusent Bamako d’instrumentaliser la problématique djihadiste pour discréditer leurs revendications d’autonomie des régions du nord.
Par ailleurs la présence du HCUA à la table des négociations génère de nombreuses interrogations. Surnommé « la lessiveuse » d’Ansar Dine, ce mouvement est dirigé par Algabass Ag Intallah, ancien numéro 2 du groupe islamiste armé fondé par Iyad Ag Ghali. Suite à l’alliance passée entre Ansar Dine et Aqmi et le Mujao lors de l’offensive contre la ville de Konna et vers le sud du Mali en janvier 2013, Algabass Ag Intallah a fait scission pour créer son propre mouvement, le MIA, plus modéré. Malgré cette dissidence, plusieurs diplomates et une partie de la classe politique malienne pointent les risques de porosité entre les actuels membres du HCUA et les islamistes radicaux. Selon une source à Bamako, la mise en place par le HCUA d’une structure d’orientation appelée « Choura » – « Assemblée » – à l’issue de son congrès tenu en mai dernier à Kidal est un signe à prendre au sérieux. Ce type de structure est en effet répandu chez les groupes islamistes du nord du Mali. Les craintes de porosités sont par ailleurs alimentées par l’influence importante que continue d’exercer Iyad Ag Ghali sur la région depuis le sud algérien où il serait réfugié.
Sur ce dossier, l’opposition n’a pas tardé à agiter le chiffon rouge. Principal adversaire d’IBK lors des dernières présidentielles, Soumaïla Cissé dénonce la « naïveté » des autorités maliennes dans la gestion de la crise du nord. Il critique notamment la présence de personnalités proches d’Iyad Ag Ghali dans les instances politiques maliennes. L’actuel leader du HCUA Algabass Ag Intallah est aujourd’hui député élu sous l’étiquette du parti d’IBK, le Rassemblement pour le peuple malien (RPM). De même, Hamada Ag Bibi, ancien bras droit d’Ag Ghali, siège aujourd’hui à l’Assemblée nationale dans la commission de défense présidée par le fils du président Karim Keïta.
Poursuivis par la justice malienne en 2013, les deux hommes ont bénéficié d’une levée de mandats d’arrêt ordonnée par le chef de l’Etat et le ministre de la justice Ali Bathily dont le fils organise régulièrement des manifestations anti françaises dans le pays. Une mesure d’exception dénoncée par le syndicat autonome de la magistrature comme « une violation du principe de séparation des pouvoirs » et derrière laquelle certains croient voir pointer la main d’Alger. Pour les tenants de ce scénario, des personnalités au sommet de l’Etat malien feraient avant tout le jeu de l’Algérie, les actions anti-françaises participant de cette stratégie. Dernière charge en date, le Collectif pour la Défense de la République (CDR) mène depuis le 2 juin une campagne nationale de boycott des produits français au Mali. Sur les tracts distribués dans la rue, le citoyen est appelé notamment à ne plus s’alimenter chez Total en carburant et à ne plus acheter de cartes téléphonique Orange. « Derrière le MNLA, il y a la France » affirme le collectif.
Le premier ministre dans la tourmente
La gestion du conflit au nord Mali continue donc d’alimenter aujourd’hui l’essentiel du débat et de la vie politique nationale. Le premier ministre Moussa Mara dont la visite à Kidal a relancé les hostilités entre forces maliennes et groupes armés est aujourd’hui sous le feu des critiques. Une grande partie de l’opinion lui attribue volontiers la débâcle des soldats maliens lors de l’offensive du 21 mai qui a entraîné la démission du ministre de la défense Boubèye Maïga. « Maïga n’a été qu’un fusible », déclare Kassim, un opposant. « Avec la Minusma et la force Serval, il a tenté de dissuader Moussa Mara de se rendre à Kidal. Peine perdue. Aujourd’hui, il paye les pots cassés ».
La grogne a finalement mené au dépôt d’une motion de censure contre le premier ministre et son gouvernement vendredi 13 juin. Rejeté, ce texte n’avait que peu de chances d’être adopté, l’opposition disposant seulement de 22 sièges sur 147 à l’Assemblée. « Nous savions que la motion pouvait ne pas aboutir. L’idée était de faire un coup médiatique et de lancer un appel y compris aux nombreux membres du parti majoritaire qui sont déçus ! » poursuit Kassim. De fait, dans les coulisses du RPM, de plus en plus de voix s’élèvent contre l’actuelle gestion des affaires. « Aujourd’hui, les divisions internes font plus de mal que l’opposition » confie, un proche du parti en colère. Les critiques visent d’abord le premier ministre Moussa Mara encore largement perçu comme un outsider par les cadres du RPM. Son parti, Yéléma, ne dispose d’ailleurs que d’un seul député à l’Assemblée nationale.
Les bonnes affaires d’IBK
A travers le premier ministre, c’est le président IBK qui est en ligne de mire. A ce compte, les récentes affaires de corruption qui éclaboussent le pouvoir donnent suffisamment de grain à moudre aux mécontents. Le Fonds monétaire international (FMI) demande aujourd’hui des comptes aux autorités sur des soupçons de malversation. Premièrement sur l’achat d’un avion présidentiel estimée entre 17 et 20 milliards de francs CFA. Lors d’une visite d’évaluation en mars dernier, les autorités n’ont pas fait mention de cette dépense aux équipes du FMI, provoquant l’ire de leur représentant sur place, Anton Op De Beke, qui l’a appris par voie de presse. L’institution monétaire demande aujourd’hui un audit complet sur la chaine contractuelle de cet achat financé pour l’essentiel à travers un prêt de la banque malienne BDM.
En parallèle, le fonds s’intéresse de très près à un contrat passé par le ministère de la défense pour 69 milliards de francs CFA (105 millions d’euros) d’acquisition d’équipement militaire. Une dépense qui n’était pas prévue dans la loi de finances. Le contrat a par ailleurs été conclu de gré à gré avec l’intermédiaire malien Guo-Star, une société aux mains de l’homme d’affaires Sidi Kagnassy proche du fils du président Karim Keïta devenu conseiller à la présidence à peine un mois et demi après la signature. Tout comme pour l’avion présidentiel, ce contrat a bénéficié d’une disposition légale permettant de ne pas respecter certaines exigences de transparence dans la passation de marchés publics pour des cas jugés sensibles. Or, cette utilisation parait abusive compte tenu des biens concernés. Au FMI, on ne voit pas pour quelle raison l’achat d’un avion présidentiel devrait bénéficier d’une telle dérogation. Le contrat militaire quant à lui comprend en grande majorité des fournitures dont l’achat aurait très bien pu être soumis à un appel d’offre.
Les bailleurs déboussolés
Malgré l’ampleur de ces dysfonctionnements, les financeurs de l’aide internationale au Mali ne semblent avoir pris toute la mesure du problème que récemment. Lors d’une réunion de suivi organisée le 15 mai dernier dans la capitale malienne, les bailleurs de fonds, dont l’Union européenne et la Banque mondiale ont tous félicité un par un l’Etat malien pour ses progrès notamment en matière de lutte contre la corruption. A l’époque pourtant, souligne une source bien informée à Bamako, le bras de fer était déjà engagé entre le FMI et le Mali…
Le FMI lui-même ne s’est d’ailleurs pas toujours montré aussi ferme vis-à-vis des autorités. Lors de sa visite au Mali en janvier, la directrice de l’institution, Christine Lagarde, avait assuré avoir « beaucoup d’espoir » pour le pays et annoncé une croissance 2013 encourageante estimé à environ 5%. Un chiffre qui sera pourtant revu ensuite à la baisse, à 1,7% seulement… Aujourd’hui, le discours est donc bien différent. Le décaissement du FMI initialement prévu pour le mois de juin dépend désormais de l’issue des discussions en cours avec l’Etat malien. Aucune aide ne sera versée avant au moins septembre. Au palais de Koulouba, on redoute l’effet domino sur les autres bailleurs. Lundi 16 juin en urgence, la ministre de l’économie et des finances, Bouaré Phily Sissoko, a donc été dépêchée auprès du siège de l’institution monétaire à Washington pour calmer le jeu