« Ramzi », l’ancien messager d’Al-Qaida, dévoile les secrets de Ben Laden

Dans un entretien au quotidien arabophone Al Hayat, un ancien combattant d’Al-Qaida ayant également travaillé pour l’occident revient sur neuf ans d’histoire en tant qu’agent double. A travers ses expériences, il livre des informations cruciales sur l’organisation terroriste et sur plusieurs attentats menés en Europe et aux Etats-Unis

ben_ladenC’est sous le pseudonyme de « Ramzi » que l’ancien moudjahid dévoué à Oussama Ben Laden accorde sa très longue confession au journal Al Hayat. «Ramzi» a été l’un des rouages d’Al Qaïda avant de devenir un agent double, travaillant à la fois pour Ben Laden et pour un service occidental, dont l’ancien guerrier n’a pas révélé l’identité. Quand on accuse « Ramzi » d’avoir trahi, il répond : « non, je me suis retourné »…

« Ramzi » a commencé sa carrière en  combattant dans les rangs des moudjahidines arabo-afghans. Il va ainsi faire le coup de feu pendant 18 mois avant d’accepter de collaborer avec l’Occident. Un espionnage intime qui va durer 9 ans avant que l’agent double ne soit grillé. Voyage sur la planète Ben Laden.

Le facteur de Ben Laden

« Ramzi » est d’abord formé par les guerriers d’Al Qaïda qui font figure de vétérans. Tous, appuyés par la CIA, ont combattus les soviétiques en Afghanistan. C’est donc sous la férule d’Ayman al Zawahiri celui qui, après la disparition de Ben Laden, va devenir le numéro un d’Al Qaïda. Né en 1951, Al Zawahiri, lui même médecin, est le fils d’un pharmacien du Caire. « Ramzi » est d’autant à bonne école que son autre « maître » est Abou Hamza Al Ghamidi, le chef de la garde personnelle de Ben Laden. Dans le panel des enseignants où se mélange l’art de la guerre à l’interprétation du Coran, « Ramzi » est également pris en main par  Abou Zoubeida Al Falastini et  Abou Moussa’ab Al Zarkaoui, des experts en sabotage qui initient leur jeune disciple à la pose de mines mais aussi à la balistique. Pour faire image, « Ramzi » est le conscrit d’une sorte de West Point façon Ben Laden.

C’est en 1994, à 16 ans, que « Ramzi » dont on ignore la nationalité,  rejoint le jihad en Bosnie Herzégovine. Là il est sous la gouverne de Khaled Cheikh Mohamad, celui qui va devenir le maitre d’œuvre des raids du 11 septembre 2001 à New York.  Mais, signés sous l’égide américaine, les accords de Dayton entre les parties du conflit yougoslave désappointent les combattants d’Allah puisque les jihadistes sont, d’entrée persona non gratta.

En Bosnie, «Les accords de Dayton nous ont placé hors-jeu, nous les djihadistes arabo afghans. Khaled Ben Cheikh nous a alors promis de nous venger des Américains. Furieux, nous avons  tout de suite cherché à renverser le président bosniaque Alija Izetbegovićh, pour empêcher la signature de l’accord. Mais ça ne c’est pas fait».

«  Ramzi » fait donc son paquetage pour l’Afghanistan et s’enrôle sous la bannière de Gulbuddin Hekmatyar.  Dans l’histoire de l’humanité Hekmatyar restera comme une « ordure absolue », dixit un diplomate qui l’a bien connu à Kaboul. D’un côté il appelle les jeunes musulmans à la guerre sainte contre les USA, de l’autre il a empoché plus de trois milliards de la CIA pour lutter contre les soviétiques… Puis Hekmatyar expédie son jeune soldat au Haut Karabagh pour, aux côtés du chef tchétchène Khattab, lutter contre les Arméniens qui sont des chrétiens. En Azerbaïdjan « Ramzi » est Incarcéré pour « immigration clandestine », mais il est vite libéré sur intervention d‘Ayman Al-Zawahiri l’ancien médecin du Caire. Libre, « Ramzi » est désigné comme le messager de Ben Laden. Aussi bien auprès de ses interlocuteurs du Pakistan et des autres pays arabes et que de ses correspondants européens.

Atteint d’une grave maladie, une typhoïde doublée d’un paludisme, le facteur d’Al Qaïda est soigné aux frais de Ben Laden qui lui a promis le paradis. Cette prodigalité ne l’empêche pas de virer sa cuti, de passer symboliquement à l’ouest en 1998. Le repenti explique que les  attentats anti américains de Nairobi et de Dar es Salam lui « ont ouvert les yeux ». Initié aux techniques du renseignement par ses nouveaux maîtres occidentaux, il va désormais  infiltrer le cœur d’Al Qaida. Désormais, c’est du moins ce qu’il affirme, « Ramzi » va  « s’appliquer à déjouer de nombreux attentats »… avant d’être démasqué et d’être condamné à mort par une fatwa d’Abou Yahya Al Libye. Trop tard, le messager a eu le temps de s’enfuir et peut maintenant raconter ses aventures de jihadiste pas comme les autres.

Aujourd’hui, tenu au secret avec une fausse identité, le terroriste en retraite revient  sur sa « carrière :

L’attentat du RER B à Paris en 1995

« Suis-je traitre? Traitre à qui ? Je n’ai ni trahi mon pays, ni espionné contre lui. Je n’ai pas trahi mon organisation, mais mon organisation a dévoyé sa mission. J’étais atteint de typhoïde et de paludisme. J’emprunte alors le téléphone d’Abou Zoubeida Al Falastini pour prendre un rendez-vous avec un médecin. Le premier décembre 1998 je quitte l’Afghanistan pour me rendre dans le pays où j’avais été précédemment soigné. En fait, j’avais été suivi pas à pas par à travers le téléphone d’Abou Zoubeida qui était écouté. Les gens du renseignement n’avaient plus qu’à me cueillir. Je peux vous révéler que, contrairement à ce qui a été affirmé, c’est bien Al-Qaïda qui est derrière les attentats de Paris en 1995. L’attentat du RER B s’est déroulé le 25 Juillet vers 17 heures, faisant 8 morts et 117 blessés à la gare Saint Michel. Il a été revendiqué par le GIA algérien (Groupe Islamique Armé). Deux poseurs de bombes ont été identifiés grâce à leurs empreintes digitales: Khaled Kelkal et Boualem Bensaïd. Mais, je le réaffirme, c’est bien Al Qaïda qui est derrière cette action.

Après avoir été incorporé dans l’organigramme du service occidental, mes nouveaux interlocuteurs voulaient absolument que je leur livre Abou Zoubeida, celui qui, dans notre organisation a géré cette affaire de Paris avec ses relais algériens. C’est lui qui a donné l’argent. Si je n’ai pas pu coincer Abou Zoubeida, je les ai aidés à démasquer un autre réseau, celui d’Abou Qtada le patron d’Abou Zoubeida Al Falastini, une organisation responsable de la mort d’innocents… Jadis j’étais un élément du problème, je suis devenu un élément de la solution… Je n’avais pas d’état d’âme, ces attentats desservaient l’islam.

J’ai été interpellé et au terme de longues interrogations, mon aide a été sollicitée. J’ai fait l’objet d’un transfert médical vers un pays européen pour soigner une hépatite.

J’ai été pris en main par un service de lutte contre le terrorisme qui m’a initié à l’observation de l’environnement, à l’analyse de la gestuelle, un art qui permet l’identification des gens. J’ai appris à observer et à ne jamais poser des questions… Une fois par mois je rendais compte à mon officier traitant, en dehors du Pakistan. Ma cible restait Abou Abdel Aziz Al Maghrébi, le spécialiste des explosifs.

Chronique d’un retournement

« En Bosnie, nous étions au nombre de 480 combattants d’origine arabe, des «Ansars» (partisans), un chiffre qui connaissait une inflation considérable en été, du fait du «djihad touristique», un afflux considérable de ressortissants des pétromonarchies et autres pays musulmans ou pas,  venus «faire le coup de feu pendant  la saison estivale».

Rendu en Afghanistan, les choses ont commencé à changer. Nous ne faisions plus la guerre avec des fusils contre des soldats. Notre entrainement a dévié  vers les cibles civiles, (sabotage des barrages de retenue d’eau, empoisonnement des cours d’eau, dynamitage des salles de cinéma). C’est là que les attentats contre les ambassades des Etats Unis au Kenya et en Tanzanie, en 1995, m’ont fortement secoué. Le fait de se donner la mort soi-même, dans un attentat suicide, équivaut à un suicide. Un acte pourtant formellement prohibé par la religion musulmane. Mais pour justifier les attentats suicide, les dirigeants d’Al Qaida invoquaient le précédent de la bataille d’Al-Yamama, en Arabie Saoudite juste après la mort du Prophète, et l’exploit de Barrak Ben Malek qui s’était lancé, en solitaire, dans une opération commando.

Pour justifier sur le plan religieux ces suicides et ces attaques contre des civils, Ben Laden avait créé la « Faculté de la Législation Islamique d’Al Qaida », confiant son programme d’enseignement à Abou Abdallah Al Mouhajer. En fait c’était un instrument de propagande chargé de déculpabiliser à bon compte les djihadistes qui se lançaient dans ces projets criminels.

Je me posais la question : quelle est notre légitimité ? Qui sommes-nous, nous, 400 combattants d’Al Qaida en Afghanistan, pour décider de la guerre et de la paix et engager, par délégation, le destin d’un milliard et demi de musulmans? Nous ne dispositions dans nos rangs d’aucun véritable savant religieux (faqih). Les justifications que l’on nous donnait ne relevaient que de l’interprétation personnelle de chacun des responsables.

Après l’attentat de Nairobi, qui a couté la vie à 12 américains et 250 africains, dont le quart était de confession musulmane, j’ai interrogé Abou Abdallah Al-Mouhajer, le responsable de la « faculté »:

«Est-il licite de tuer des musulmans et des africains qui n’ont aucun rapport avec nos guerres?

«Oui, répondit-il, en vertu de la jurisprudence «Al Tataross» qui absout le meurtre accidentel de musulmans (le dégât collatéral) lorsqu’il est fait usage de musulmans en guise de boucliers humains ».

-«Face à mon air dubitatif, il a écourté la conversation en ces termes : Ies diplomates n’étaient rien d’autre que des espions ».

J’étais hésitant à poursuivre dans cette voie. Au camp Farouk frappé d’une nouvelle crise de paludisme, cette nuit-là, pris de malaise, je sortis de ma tente pour prendre l’air et me soulager Quelle ne fut ma surprise de constater que des boules de feu s’abattaient sur le camp. Il s’agissait en fait de missiles Cruise, qui ont tué six personnes. Ce raid fut mon point de basculement. J’ai quitté l’Afghanistan et Al Qaida. »

Les néoconservateurs, Clinton et la guerre en Irak

«  La fréquentation des responsables d’Al Qaida m’a permis d’entendre pas mal de secrets. Ainsi, dès 1999 je savais que les Américains voulaient faire la guerre en Irak. Un soir, lors d’un dîner regroupant une quarantaine de personnes, Abou Mousa’ab Al-Soury, un syrien né à Alep, théoricien du « djihad global » et qui est aujourd’hui le vrai successeur de Ben Laden, tire de sa poche un texte en arabe intitulé «American Century Project» et nous annonce à voix haute:

«Les Américains préparent une invasion de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein pour faire de l’Irak un exemple de démocratie et assurer l’expansion des intérêts américains dans la zone ». Le texte de cette lettre, adressée à Bill Clinton président des États Unis, portait la signature de George Bush jr, Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Condoleeza Rice et Paul Wolfowitz . C’est dire que de hauts responsables politiques, ceux qui allaient succéder à Clinton, préparaient déjà la guerre contre l’Irak.

Et Abou Mousa’ab Al Soury avait aussi dans sa poche la réponse de Clinton. Il disait « Je ne saurais me lancer dans de telles opérations, sauf en cas d’attaque similaire à celle de Pearl Harbour. »

Abou Fahs Al Masry enchaîne alors: « C’est vrai, alors nous leur assénerons un nouveau Pearl Harbour »…

En septembre 2001, j’ai compris ce dont il était question à l’époque.  Al Qaida songeait de longue date à une grande opération. En juillet 2001, j’étais à Kandahar. Abou Fahs al Masry me réclame et me charge d’une mission: «Je te charge de faire parvenir ce message à quatre personnes de Londres et de Birmingham: « quittez le Royaume Uni et revenez en Afghanistan, avant début septembre. Sinon restez sur place et ne bougez plus ».

Surpris je pose cette question à Abou Hafs: « Cette attaque sera plus forte que celle des missiles Cruise qui nous ont touché l’an dernier ? »

Il m’à répondu : « Rien à voir. Ce sera un théâtre de guerre. L’évènement sera énorme. Toi tu resteras en Europe».

Le Pearl Harbour, ce fut le raid du 11 septembre 2001 ».

Ben Laden, « un lion entouré d’ânes »

A la fin de son entretien avec Al Hayat, Ramzi revient sur une partie des aventures de Ben Laden au Soudan : « Hassan Tourabi et Omar Al-Bachir (actuel président du Soudan) ont trahi Ben Laden. D’ailleurs il les qualifiait de «Frérots caméléons». Oussama Ben Laden disposait d’une forte escorte égyptienne. Ils ont été à l’origine de tous ses maux. C’est eux qui lui ont soufflé l’idée de s’installer au Soudan pour y fomenter un coup d’état. Or, il n’a pas pris le pouvoir et perdu 165 millions de dollars d’investissements. Le  tandem Tourabi-Bachir a mis la main sur ses plantations et l’a roulé dans la farine. Ben Laden n’était pas fait pour la politique quotidienne, politicienne. Il vivait en compagnie de trois de ses épouses et de leurs enfants, menant une vie frugale, chasse, natation et équitation, se réservant le prêche du vendredi. Comment pouvait-il monter un coup d’état ? Autour de lui ses amis Ayman Al Zawahiri et Abou Fahs Al Masri,  manquaient tout autant de bon sens. En fait, Ben Laden n’était qu’un lion entouré d’ânes».

Ses passionnantes confessions de Ramzi, avec leur part d’omission et de mensonge, nous conduisent à tenter de comprendre le nouveau rapport de forces qui traverse le Al Qaïda de l’après Ben Laden. L’organisation djihadiste se débat maintenant dans des conflits internes en raison des difficultés qu’ont ces guerriers d’Allah à trouver un incontestable successeur à leur maître disparu, à former une nouvelle génération de djihadistes. Ce qui est certain c’est qu’Al Zawahiri, qui se veut le nouveau Calife, est en but à une solide opposition et à de la surenchère.

Pour se remettre en selle, Zawahiri a décidé de tourner son haut parleur vers l’Occident et  d’éditer une revue en langue anglaise «Resurgence». Cette publication s’adresse aux musulmans qui résident ou sont nés des pays occidentaux. La raison de cette croisade de recrutement lancée en Europe ? Le fait que les djihadistes venus de pays arabes soient de moins en moins nombreux et motivés. Ce nouveau marketing explique que Zawahiri, dans ses interventions, emprunte maintenant de longs passages des discours de Malcolm X, le leader des «Black Muslims», assassiné il y a quarante ans. Même avec Al Qaida, l’histoire tourne en rond.

PAR RENÉ NABA