A la Cour Pénale Internationale, tous les accusés sont noirs

Le président algérien devait-il inviter le lundi 12 octobre son homologue soudanais, Omar El Béchir, poursuivi par la Cour Pénale Internationale (CPI)? Est ce si grave quand on sait que la CPI n’a inculpé, depuis sa création, que des Africains ?

Omar_El_BechirDimanche 11 octobre 2015, Alger. De fortes pluies ont paralysé la ville mais les drapeaux sont debout, celui de l’Algérie aux côtés de celui du Soudan, dont le président est en visite officielle pour trois jours, durée anormalement longue pour la diplomatie. Signe des temps, le Soudan était le plus grand pays d’Afrique jusqu’en 2011 et depuis la partition du pays et la création du Sud Soudan, c’est à l’Algérie que revient cet honneur naturel, avec ses 2,3 millions de kilomètres carrés.

Dimanche 14 juin 2015 à l’autre bout du continent, Pretoria, Afrique du Sud. Omar El Béchir sort pour la première fois de son pays et participe au 25ème sommet de l’Union Africaine. Photos de famille, flashs et médias, pendant qu’une plainte d’une ONG est déposée contre le président soudanais auprès de la justice sud-africaine, qui demande à ce qu’il soit immédiatement arrêté et transféré à la Cour Pénale Internationale en vertu d’un mandat d’arrêt émis contre lui, suite à une requête du Conseil de Sécurité de l’ONU pendant la guerre au Darfour. L’après-midi même, un tribunal de Pretoria interdit au président soudanais de quitter l’Afrique du Sud en attendant que la justice statue sur son sort et le ministère sud-africain de l’Intérieur reçoit l’ordre de contrôler les points de sortie du territoire et les postes-frontière d’informer et d’empêcher toute tentative de fuite du président soudanais.

Le lendemain pourtant, Omar El Béchir est de retour chez lui et le président sud-africain Jacob Zuma s’en sort, le gouvernement expliquant qu’Omar El Béchir n’a tout simplement pas présenté son passeport à l’immigration et que personne n’était donc au courant qu’il était à bord de l’avion pour Khartoum. Fin du premier épisode et retour à Alger. Contrairement à l’Afrique du Sud, l’Algérie n’est pas membre de la CPI et si elle a bien signé la convention internationale, elle n’a pas encore ratifié le statut. Mais la CPI c’est quoi ?

Les Hollandais volants La Haye, Pays-Bas, 2002.

Des juristes et des politiques du monde entier se réunissent pour signer le traité de la création de la Cour Pénale Internationale, afin de punir « les génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. » Parmi les 121 États ayant signé le statut de Rome en 1998 (sur 193 pays) pour régir le fonctionnement de la CPI, 32 pays ne l’ont pas ratifié, à l’exemple la Russie, les États-Unis, Monaco et Israël, et aucun des pays arabes à l’exception de la Jordanie et de la Tunisie en 2011. La Chine et l’Inde comme presque tous les états d’Asie n’ont même pas signé le Statut de Rome et en Afrique, la majorité a signé et ratifié à l’exception du Maroc, Egypte, RDC, Zimbabwe, Mozambique et le Sud Soudan, de l’Algérie et du Soudan, 5 pays n’ayant pas signé la convention, la Libye, Mauritanie, Nigeria, Ethiopie et la Somalie. C’est important, un pays non membre ne peut-être inclus dans la juridiction de la CPI, dont les statuts stipulent par ailleurs qu’elle « n’engage de poursuites que si l’État concerné n’a ni la capacité ni la volonté de le faire.» Ironie du sort, la CPI est la continuité du Traité de Versailles signé à la fin de la Première Guerre mondiale, qui prévoyait dans son article 227 la création d’un tribunal international afin de juger Guillaume II, donné responsable en grande partie du déclenchement de ce conflit global qui a fait 9 millions de morts. L’accusation est définie contre le dernier empereur allemand, « offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités ». Mais ce tribunal n’a jamais vu le jour, Guillaume II s’étant exilé aux Pays-Bas et ces derniers ayant refusant de l’extrader, l’empereur y étant toujours enterré. A quelques kilomètres du siège de la CPI.

L’univers et les autres

Plus près de nous, le dernier bombardement américain en Afghanistan au début d’octobre qui a visé un hôpital géré par MSF, Médecins sans frontières, a été qualifié par l’organisation humanitaire de « crimes de guerre ». Les États-Unis ont signé la Convention de Rome, mais ne l’ont pas ratifiée, la CPI n’est donc pas compétente, sauf si le Conseil de Sécurité de l’ONU en décide autrement. D’ailleurs, en 2012, les USA retiraient même leur signature, sous l’impulsion du président Bush. Officiellement et selon ses fondateurs, la CPI a pour objectif d’universaliser les droits de l’homme et juge les individus, pas les Etats. Sauf que depuis sa création en 2002, la Cour pénale n’a pour l’instant ouvert des enquêtes que sur des responsables africains, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la République de Centrafrique, le Darfour (Soudan), le Kenya, la Libye et la Côte d’Ivoire, et a dernièrement ouvert une enquête sur le Mali. Serait-ce à dire que les crimes de guerre n’existent qu’en Afrique ?

Le 14 mars 2012, la CPI prononce son premier verdict en déclarant Thomas Lubanga Dyilo, président de l’Union des Patriotes Congolais, coupable de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans, et du fait de les avoir fait participer à des hostilités. Sanction, 14 ans de prison.

A la CPI, tous les accusés sont Noirs

Quand on lui a posé la question, l’avocat français Jacques Vergès répondait qu’un « tribunal international est toujours organisé par le vainqueur contre le vaincu, par le plus fort contre le plus faible ; et le plus fort n’a pas toujours raison, et le vaincu n’a pas toujours tort ». C’est ainsi qu’avec son collègue, l’autre éminent juriste français et ex-ministre des affaires étrangères, Roland Dumas, il s’envole pour Abidjan en 2011 afin de défendre le président déchu Laurent Gbagbo, arrêté par la Cour Pénale Internationale. « Une expédition pitoyable » selon les mots de Michelle Alliot Marie, qui vient juste de quitter à l’époque le poste de ministre des affaires étrangères.

L’élection en Côte d’Ivoire avait opposé en 2010 Gbagbo, président sortant, à Alassane Ouattara, ancien cadre du FMI, donné vainqueur de justesse avec 54% des voix. Gbagbo est donné vainqueur par le Conseil constitutionnel ivoirien mais l’Union européenne, Ban Ki Moon le secrétaire général de l’ONU, les présidents et Sarkozy considèrent que le président élu est Alassane Ouattara. Gbagbo refuse de quitter le pouvoir mais après dix jours de bombardement de la résidence présidentielle par les forces spéciales françaises (Force Licorne et l’ONUCI), il est finalement arrêté puis incarcéré par la Cour pénale internationale à La Haye le 30 novembre 2011 pour « crimes contre l’humanité. » Si son procès est attendu pour la fin de l’année ou tout au moins pour le début 2016, ce n’est pas une coïncidence, son pourfendeur, l’actuel président Alassane Ouattara, était lui-même président de la CPI pour la Côte d’Ivoire avant son investiture.

L’argent pour la fin, la CPI est dépendante des pays les plus riches pour son budget de fonctionnement, ce qui a fait dire à Jacques Vergès, encore lui : « Peut-on imaginer un juge payé par une partie qui jugerait une autre partie ? » Et de rappeler que « lorsque le TPI (Tribunal pénal international) pour l’ex-Yougoslavie a été créé, le représentant de l’OTAN a déclaré : « Nous sommes le principal financier de ce tribunal ». Jacques Vergès ironisait alors : « Il en parlait comme le patron d’une multinationale parle de l’une de ses succursales.»

Omar va me tuer

Que fait le président soudanais à Alger ? Selon l’agence officielle APS, il s’agit de paix et de sécurité en Afrique et dans le monde arabe, l’Algérie et le Soudan étant tout aussi Africains qu’Arabes. Au menu donc, économie, partenariat, sécurité, et quelques images à la télévision, d’un Omar, en forme et forcément heureux d’être accueilli, et d’un Abdelaziz usé mais content de son idée. Et la CPI ? Si l’Algérie a signé mais n’a pas encore ratifié le traité, le Soudan l’a signé en septembre 2000 mais en 2008, le président Omar El Béchir est mis en accusation pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour. Un mois plus tard, le Soudan, qui n’avait pas encore ratifié le traité, annonce se retirer de la Cour Pénale Internationale. Six mois plus tard, la CPI émet un mandat d’arrêt contre Omar El Béchir, qui est aujourd’hui sous le coup de la justice internationale. Peut-on l’arrêter à Alger ? En théorie, non. D’autant qu’en juillet 2009, les États de l’Union africaine votaient une résolution indiquant qu’ils n’exécuteront pas ce mandat d’arrêt international émis par la CPI. Quel poids ? L’Afrique du Sud avait bien voté cette résolution, ce qui n’avait pas empêché la CPI d’intervenir en juin dernier en demandant l’arrestation du leader soudanais. Zuma s’en est sorti, Bouteflika s’en sortira probablement aussi.