Pour contrer les préférences affichées des investisseurs occidentaux pour le Maroc ou d’autres pays d’Afrique subsaharienne, les dirigeants algériens disent désormais vouloir composer avec les puissances émergentes de l’Asie. Actuellement, tous les grands projets sont confiés aux entreprises de ces pays avec lesquels Alger espère bâtir un partenariat qui permettra au pays de sortir de la crise financière.
Au début du mois d’août, le ministre algérien de l’Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, s’est rendu en Indonésie pour visiter les installations industrielles du pays. A son retour, Bouchouareb n’a pas caché son admiration face aux réalisations indonésiennes. Mieux, sur le site de l’usine d’Indorama, l’une des principales filiales de fabrication de polymères en Indonésie, Bouchouareb a clairement évoqué l’ambition algérienne de nouer des partenariats dans le domaine de la pétrochimie, notamment les résines plastiques et les polymères dérivés du gaz naturel.
Jakarta, exemple à suivre
« L’Algérie importe actuellement pour près de 6,5 milliards de dollars de produits plastiques. Ceci constitue une formidable opportunité de substitution par une production nationale et d’exportation vers les pays de l’Afrique subsaharienne et de toute la région méditerranéenne », a expliqué Bouchouareb à ses homologues indonésiens. Par ailleurs, lorsque le ministre algérien a visité le centre Polytechnique de la firme Indorama, qui accueille 270 étudiants sur un campus de 2 hectares, il a demandé à ce qu’un volet formation continue et éducation de même niveau soit implanté en Algérie, notamment dans le cadre des partenariats récemment signés entre ce groupe et deux entreprises publiques nationales.
En tout, ce sont trois accords d’investissements d’un montant global de 4,5 milliards de dollars qui ont été conclus en juillet dernier à Alger entre Indorama et les groupes Asmidal et Manal. Ils prévoient la réalisation de trois projets mixtes algéro-indonésiens portant sur le développement et l’exploitation de la nouvelle mine de phosphate de Bled EL Hadba (Tebessa), la transformation des phosphates pour la production de l’acide phosphorique et de d’ammonium phosphate dans la wilaya de Souk Ahras et la transformation du gaz naturel pour la production d’ammoniac, de nitrate d’ammonium technique (TAN) et du calcium ammonium nitrate (CAN) dans la wilaya de Skikda.
La production issue de ces plates formes industrielles devra couvrir les besoins du secteur agricole en différents produits fertilisants et permettra l’exportation de l’excédent qui sera dégagé vers les marchés internationaux.
L’Asie, nouveau chouchou d’Alger
Avec ces partenariats précieux, l’Algérie s’émancipe de sa dépendance vis-à-vis de l’Europe. Après avoir passé des années à « draguer » des partenaires européens, Alger a décidé de miser définitivement sur Jakarta, allié nettement plus pragmatique. « Les asiatiques sont des travailleurs ambitieux, ils ne mêlent pas des affaires internes et ne donnent aucune leçon de démocratie. Ils sont plus généreux et acceptent de transférer leurs technologies. Ils n’ont rien à voir avec les occidentaux qui nous arnaquent toujours dans les projets communs », confie un haut responsable algérien en poste au ministère des Affaires étrangères à Alger qui confirme ainsi la nouvelle orientation du régime algérien.
Et la réussite des partenariats conclus avec la Chine a démontré la justesse de cette théorie à laquelle adhèrent de plus en plus de décideurs algériens. La Chine a même ravi la place qui revenait naguère naturellement à la France en devenant le premier partenaire commercial de l’Algérie avec des échanges qui dépassent désormais les 8 milliards d’euros. Autoroute est-ouest, Grande Mosquée d’Alger, construction de plusieurs milliers de logements sociaux, les entreprises chinoises dominent outrageusement le marché du bâtiment algérien.
En 2015, ce sont les chinois qui ont décroché la construction du futur méga-port de Cherchell qui devra permettre à l’Algérie de rivaliser avec Tanger-Med du Maroc. Les chinois bâtiront et géreront ce grand port qui coûtera pas moins de 3 milliards de dollars. Des banques chinoises prêteront même une grosse partie de ce financement à l’Algérie pour réaliser ce projet. En échange, les entreprises chinoises auront l’exclusivité de faire transiter leurs marchandises à destination de toute l’Afrique sub-saharienne, un marché qu’ils lorgnent depuis des années.
A Alger, ce coup de poker réussi de la Chine fait grincer les dents du lobby français qui n’a pas du tout apprécié les avantages accordés par les autorités algériennes à la puissance chinoise. Depuis, les relations franco-algériennes ne cessent de se tendre. Les dirigeants algériens ne cachent pas leur désir de vengeance. « L’Europe nous a longtemps méprisés. Nous avons toujours été traités comme des moins que rien auxquels on donne uniquement des miettes. Il est temps pour nous de choisir les bons partenaires qui nous offrent de réelles perspectives de développement » explique, sous couvert d’anonymat, un autre haut responsable du ministère de l’Industrie algérien. Dorénavant, la priorité sera donnée aux pays asiatiques dans tous les futurs projets structurants.
L’Europe sur la touche
Autre signe important, l’Iran grigone petit à petit de nouvelles parts de marchés en Algérie. Une usine de montage de véhicules iraniens, Saipa, sera prochainement inaugurée à Tiaret à l’ouest du pays. De son côté, la Turquie fait le forcing et tente aussi de se replacer juste derrière la Chine. Plus de 200 grandes entreprises turques développent leurs activités en Algérie. Textile, sidérurgie et BTP, les turcs ravissent des marchés aux européens et imposent leur influence à travers leurs réseaux bien enracinés dans le pays.
Sur le plan politique, le président algérien Bouteflika affiche clairement son jeu : se rapprocher de ces pays asiatiques et se détacher progressivement de l’Europe. Les positions trop pro-marocaines de Bruxelles ont fini par dégoûter le palais d’El-Mouradia.
De plus, en Asie, l’Algérie trouve des soutiens réconfortants pour ses positions géopolitiques dans le dossier syrien ou libyen où l’Europe a refusé de l’écouter. Reste enfin à savoir si cette lune de miel avec les puissances asiatiques durera. Va-t-elle du moins tenir le temps nécessaire pour que l’Algérie amorce son indépendance économique ?