Liban, Le Drian et Macron dansent le tango de l’impuissance

Le président français qui a désigné le Hezbollah comme coupable d’entrainer le Liban dans la guerre a également estimé que la guerre à Gaza «n’a que trop duré», et a plaidé «pour que les frontières internationalement reconnues soient conservées» partout dans le monde

Le Liban, ce pays meurtri et en crise permanente, attire une fois de plus les projecteurs de la diplomatie française. Jean-Yves Le Drian, l’envoyé spécial d’Emmanuel Macron, a foulé le sol libanais le 23 septembre 2024, dans un contexte de tensions accrues avec Israël. Ses déclarations font écho à celles prononcées par le président français lui-même il y a près de quatre ans, au lendemain de l’apocalyptique explosion du port de Beyrouth. Mais au-delà des paroles, qu’en est-il des actes ?

À peine arrivé, Le Drian s’est lancé dans une valse effrénée d’entretiens avec des responsables libanais. Il a notamment rencontré le président de la Chambre, Nabih Berri, ainsi que Mohammed Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah. Le Drian doit également s’entretenir avec le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et d’autres responsables politiques durant son séjour, dans l’espoir dérisoire de faciliter le dialogue et de trouver une issue à la crise. Une danse diplomatique qui tourne en rond. Car le Liban est englué dans un cycle infernal de violences et d’instabilité, prisonnier de sa géographie et de l’influence de puissances régionales rivales. Israël, la Syrie, l’Iran, l’Arabie Saoudite… Autant d’acteurs qui se livrent une guerre par procuration sur le territoire libanais, indifférents aux souffrances d’une population exsangue.

Le Drian découvre le Pérou

Et comme si cela ne suffisait pas, Le Drian se sent obligé d’insister sur l’urgence d’élire un nouveau président. Une rengaine que les Libanais connaissent par cœur, eux qui voient leur pays paralysé par une classe politique corrompue et déconnectée des réalités. Les institutions sont en déliquescence, l’économie en lambeaux, la monnaie en chute libre. Mais pour l’élite au pouvoir, l’essentiel semble être de préserver ses privilèges et de se partager les maigres ressources du pays. Des dirigeants que Le Drian s’échine à rencontrer, sans grand espoir de les voir changer de partition.

Face à ce marasme, la France joue les amies fidèles et compatissantes du Liban. Emmanuel Macron lui-même avait fait le déplacement à Beyrouth deux jours seulement après la tragédie du 4 août 2020, promettant monts et merveilles, aide et solidarité. Des mots forts, des embrassades chaleureuses, des promesses de ne pas abandonner le peuple libanais… Mais quatre ans plus tard, force est de constater que peu de choses ont changé. Les ruines du port sont toujours là, béantes, témoins silencieux d’un État failli et d’une communauté internationale impuissante.

Une amie qui vous voudrait du bien

La France, cette amie qui vous voudrait du bien, a envoyé de l’aide, des médicaments, des équipes de secours. Des gestes louables, mais qui ressemblent davantage à des pansements sur une jambe de bois. Car le Liban a besoin de bien plus que d’une assistance ponctuelle. Il a besoin d’une refonte en profondeur de son système politique gangrené, d’une relance économique, d’investissements massifs dans les infrastructures et les services publics. Il a besoin d’une justice indépendante, capable de traduire en actes la soif de changement de la société civile.

Mais ces réformes de fond se heurtent à de puissants intérêts, à des forces politiques qui n’ont aucun intérêt au changement. Le Hezbollah, milice armée soutenue par l’Iran, reste un acteur incontournable sur l’échiquier libanais. Les partis traditionnels, qu’ils soient sunnites, chrétiens ou druzes, à l’image de Nabih Berri et Samir Geagea, se cramponnent à leurs fiefs et à leurs prébendes. Et la communauté internationale, malgré ses déclarations grandiloquentes, semble résignée à l’idée d’un Liban en perpétuelle agonie.

Alors, que penser de cette énième visite de Le Drian, de ses appels au cessez-le-feu et à l’élection présidentielle ? La comparaison avec la visite de Macron en août 2020 est cruelle. Le président français avait alors promis un « dialogue de vérité », une « exigence » vis-à-vis des responsables libanais. Mais force est de constater que ce dialogue n’a été qu’un monologue stérile. Les mêmes visages sont toujours aux commandes, les mêmes blocages perdurent, les mêmes souffrances s’aggravent. La colère populaire, si vive au lendemain de l’explosion, semble s’être noyée dans un océan de résignation et de désespoir.

On ne peut s’empêcher de penser que ces visites diplomatiques, aussi bien intentionnées soient-elles, ne sont que des paroles en l’air qui n’ont aucune prise sur le réel. Le Liban, pays de poètes et de marchands, mérite mieux que ces piqûres de morphine administrées au chevet d’un moribond. Il mérite une thérapie de choc, un électrochoc qui fasse repartir son cœur meurtri.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)